Quelques jours avant la Saint Sylvestre, le ciel n’est pas très clément, il fait froid … le moment idéal pour un bon verre de vin chaud (ou deux) et pour une interview chaleureuse avec un personnage qui l’est tout autant, Monsieur Tahiti Boy.

Rencontre, donc, avec un véritable homme orchestre ayant décidé de se lancer dans l’aventure d’un "pop super group", Tahiti Boy & The Palmtree Family.

A moins d’avoir passé les douze derniers mois au côté du nouveau petit bouddha sous son arbre, impossible d’être passé à côté de cette formation originale et talentueuse de plus en plus présente sur les différentes scènes parisiennes.


Tahiti Boy, comment la musique est-elle apparue dans ta vie ? Quel fut ton premier coup de cœur musical ?

Rien de très original en fait… Jimi Hendrix. Un pote guitariste me l’a fait découvrir. En fait, il s’agit plutôt de mon premier coup de cœur pas honteux. Autre chose que Jean Leloup avec "1990" ou Pauline Ester qui chante "Il Fait Chaud". Lors du vingt-cinquième anniversaire de Woodstock, le film avait été rediffusé. Comme Hendrix a joué en clôture, j’ai dû regarder l’intégralité avant de le voir, ce qui m’a permis de découvrir toute une nébuleuse de groupes que j’adore encore aujourd’hui : Crosby, Stills, Nash & Young, les Who, Sly Stone, Joe Cocker, the Band, Janis Joplin.

Quel est ton background, ton éducation musicale ?

Chez moi un piano était à disposition. Des disques aussi. Ma mère est pianiste classique et jazz, elle en a fait professionnellement mais a arrêté un peu avant ma naissance. En réalité c’est plus le fait qu’elle en joue, que ce qu’elle jouait (classique, jazz, ragtime …) qui a eu une influence sur moi. Mon père a fait un peu de guitare mais en a surtout beaucoup écouté. Dans ma famille, j’ai également un cousin, genre le ‘grand cousin’, qui m’impressionnait énormément.

J’ai des souvenirs de moi petit, assis à côté de lui, à le regarder jouer. Son répertoire était plutôt classique, jazz, pas spécialement compliqué, mais comme j’étais juste à la hauteur du clavier, je voyais ses mains tirer le piano au lieu de les voir se poser verticalement sur l’instrument. C’était tellement fluide, j’avais l’impression que le clavier était mou. Etrangement, c’est par le xylophone et les percussions que j’ai débuté.

Pas de guitare ?

Non, je suis un très mauvais guitariste même si j’en possède une et que j’en joue de temps en temps sur scène. Par contre, j’ai fait du saxophone pendant de nombreuses années notamment aux Etats-Unis.

Tu peux nous en dire plus sur cette période ?

J’ai fait une école à New-York de 20 à 2quatre ans qui s’appelle la Julliard School. Comme j’étais boursier, j’avais un cursus un peu particulier. D’un côté, je participais à la production et l’organisation artistique de la section jazz de l’école et de l’autre, je suivais des cours sur l’histoire du jazz, de la musique classique …

Et pas de cours d’apprentissage des instruments ?

Si, mais comme l’entrée se faisait sur audition, tout le monde savait déjà jouer de manière professionnelle. A cette époque, j’avais fait du saxophone mais c’est au saxophone baryton que je suis rentré. Au sein de l’école, il y avait un big band, des petits groupes : j’ai eu l’occasion de jouer à l’opéra de New-York, de partir en tournée aux USA.

Et à cette époque, à quoi te destinais-tu ?

Au journalisme ! Quand j’étais à la Julliard, j’ai monté un groupe qui s’appelle Spontane. En fait dès que j’ai commencé à gagner un peu d’argent, j’ai réalisé que je n’étais plus obligé d’avoir quelque chose à côté. Quand je suis revenu à Paris après ces quatre ans, je suis très vite parti en tournée avec Mike Ladd ainsi qu’une clique de rappers new-yorkais dont Beans de Antipop Consortium... J’ai rapidement été intermittent donc je ne me suis pas vraiment posé de questions : je ne l’ai pas décidé, j’ai juste persévéré. Dans tous les cas, je pense que j’aurai quand même monté Tahity Boy et la Palmtree Family.

Tes compétences musicales ne s’arrêtent pas à l’interprétation ou à la composition, tu es également auteur d’arrangements, de productions …

Exact, j’ai fait pas mal d’arrangements. Récemment, j’ai bossé sur un morceau pour le prochain album de Syd Matters, j’avais déjà bossé avec eux auparavant. J’ai fait des productions pour Mike Ladd, pour Spontane, pour un groupe de rap anglais Crack Village. Là je vais bosser sur un titre pour Poney Poney, j’ai également fait des musiques pour des courts-métrages. Avant de partir aux USA, j’ai également joué du saxophone dans un groupe de jazz funk, Niketalope. On faisait déjà des arrangements mais c’est une fois à la Julliard que j’ai mis un nom dessus. Et appris à le faire avec plus de rigueur.

On dirait que tu es capable de tout faire tout seul… Raconte nous comment tu as commencé le projet Tahiti Boy…

A vrai dire, faire des trucs au piano tout seul c’est chiant ! Je voulais être entouré : jouer en groupe, c’est super agréable. En réalité, le projet existe depuis longtemps. Avec mes potes de Poney Poney, Gaspard de Justice, une copine qui s’appelle Choc et plein d’autres, on avait monté un micro label à Paris qui s’appelait MuscloRecords. C’est de cette manière qu’on a commencé à bosser ensemble. On a d’ailleurs sorti une compile.

Avant de partir à New-York, je sortais déjà des morceaux que je faisais tout seul chez moi, sous le nom de Tahity Boy seul. Mais j’adore les groupes avec plein de musiciens … Impossible de partir en tournée, mais j’adore ! Quand je suis revenu en France, j’ai vu des concerts qui m’ont beaucoup plus, notamment un mec qui s’appelle Bobby Conn, le déclencheur pour monter le groupe. Plusieurs personnes me paraissaient évidentes pour ce projet : Antoine de Poney Poney, Jean le batteur de Hopper, Didier le bassiste de Tanger ... A New-York, j’étais parti avec Vincent le percussionniste et flûtiste. Thomas, le violoncelliste, je l’ai rencontré via un coloc new-yorkais. Jonathan, je l’ai rencontré en dernier. Je devais accompagner Choc pour plusieurs dates en Angleterre avec Syd Matters. Mais elle n’a pas pu venir car elle est tombée malade la veille, je suis parti quand même.

Voilà, on est rapidement devenu potes. Du coup quand j’ai monté le projet, je lui en ai parlé et il est venu jouer. Au début, je faisais un peu fait le lien car tous ne se connaissaient évidemment pas. Et puis le courant est super bien passé, on avait quatre morceaux dès la première répétition. On bosse avec un ingé son dès le début. On va tous dans la même direction.

L’appellation "pop super group" est souvent évoquée au sujet de la Palmtree Family : il est vrai que des membres de Syd Matters, Poney Poney, Tanger, Hopper, ça commence à faire du beau monde !

C’est vrai, mais il est important que chacun ait déjà fait son truc de son côté… avant la Palmtree Family, y compris moi… Chacun a amené son grain de sel, sa personnalité, son ego … Quand Antoine chante, ce n’est plus Antoine de Poney Poney, c’est Antoine de la Palmtree Family. La Palmtree Family n’est pas un sous-groupe de toutes ces formations… Même si j’assume le leadership du projet, je mets vraiment en avant le fait que nous sommes d’abord un groupe.

Par exemple, je ne voudrais vraiment pas que, sous prétexte que Jonathan a vendu pas mal de disques, tous les fans de Syd Matters se doivent d’adorer ! D’ailleurs, j’apprécie beaucoup sa position par rapport à ça. Lorsqu’on peut faire des dates ensemble, on les faits. On a joué tous les deux à New-York en acoustique en première partie de Syd Matters. Le mois prochain (janvier 2007), il nous a invités dans le cadre de sa résidence à la Flèche d’Or. Les choses se passent super naturellement, je participe à son disque aussi. Ça enlève des gros problèmes de conscience.

Au fait, pourquoi Tahity Boy ?

C’est un mystère ! En fait, j’adore l’été et je suis super fan du personnage de Tahity Bob dans les Simpsons. Sa coupe est assez particulière et comme j’avais la même à une époque, mes potes m’avaient appelé comme ça. C’est resté.
En tant que grand fan de Sly and the Family Stone, quand je me suis entouré d’un groupe, c’est devenu Tahity Boy & The Palmtree Family

Et la composition dans Tahiti Boy and The Palmtree Family, comment ça marche ?

C’est moi qui suit en charge de tout : paroles, mélodies, chanson. Pourtant, récemment, j’ai bossé pour la première sur un titre avec un autre membre du groupe (Didier). Généralement, j’ai des idées sur les parties que chaque musicien doit jouer. Chacun se les approprie, propose ou essaye des pistes. Si après quelques concerts, quelque chose me gêne ou s’éloigne trop de ce que j’avais imaginé, je leur en parle et on bosse de nouveau ensemble. On a aussi parfois de bonnes surprises en réécoutant les enregistrements de concerts. Par exemple, en novembre dernier, Jonathan a improvisé un truc mortel sur un titre que l’on joue depuis le premier concert. On n’hésite jamais à ouvrir les morceaux sur scène : le pire qui puisse arriver, c’est de ne pas se retrouver sur un break.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Les filles ! En fait toutes les histoires en général. Quand je vais au cinéma, que je vois une histoire qui me touche, ça peut m’inspirer quelque chose. La lecture aussi, comme beaucoup. En ce moment, je suis en train de lire un bouquin de Falkner « Une Rose Pour Emilie », qui est devenu une chanson culte des Zombies. Ou alors des trucs du quotidien, lorsque je me balade dans la rue. Si je vais dans une galerie et que je vois une peinture horrible dans une galerie horrible, je vais peut-être avoir envie d’écrire un quelque chose d’horrible là-dessus. Tout ça fait globalement parti d’un processus : digérer les inspirations.

J’ai remarqué que les filles sont très sensibles à notre musique. Elles répondent exactement comme on le souhaite ! Tu vois par exemple, sur "You Make Me Blush", les paroles sont volontairement écrites très fleur bleue à la limite du ridicule. Si l’on écoute Burt Baccharat, les paroles sont vraiment à l’eau de rose. J’aime beaucoup l’écriture poétique mais je ne m’en sens pas vraiment capable, alors je pars de trucs simples. Un jour j’ai lu une chronique qui disait que nos paroles étaient désuètes, ce qui est vrai pour ce titre mais pas pour le reste.

Tu vois par exemple "Time", c’est une rupture au deuxième degré, "Andy", un môme qui veut écouter une chanson à la radio … C’est vraiment dommage que ces gens n’aient pas compris le second degré de "You Make Me Blush". En fait j’aime bien les paroles terre à terre. D’après moi les paroles poétiques ne marchent que si c’est extrêmement bien fait.

Comment qualifierais-tu le style de Tahiti Boy and The Palmtree Family ?

J’aime beaucoup le terme ‘pop’. J’aime beaucoup également le terme ‘folk’ mais je m’en méfie. Ça n’est pas la couleur la plus évidente dans notre musique mais on retrouve tout de même du banjo, des guitares un peu Neil Young. En fait, ce n’est pas des gens dont je me méfie, mais plus de l’association d’idées et de l’image. Tout ça pour dire que j’ai du mal à définir ma musique mais je peux aisément citer des influences : la musique pop évidemment, Burt Baccharat, Billy Joel, Elton John même, Stevie Wonder, Donnie Hattaway …

Lorsque quelqu’un vient me voir pour me dire qu’un morceau ressemble à un tel ou un tel, en général cela correspond à des artistes que j’ai écouté. Cela signifie que l’on a bien digéré nos influences. Je suis également très fan de morceaux en plusieurs parties. Sur un de nos titres, "Andy", la mélodie de voix reste la même, seuls les arrangements et les parties changent. Idem sur "Time", le titre avec le banjo. Au départ il est déglingué, puis à la fin, il devient beau avec le violoncelle. Mon idée, c’est vraiment de retranscrire une ambiance : on rentre dans un café, un groupe joue au fond et c’est ce que l’on entend.

Je demeure fasciné par l’idée du fil conducteur mélodique et d’un enrobage changeant. Un peu comme Brian Wilson. C’est pour ça que je me sens mieux au piano qu’au saxophone, car je peux expérimenter autour de ça.

Et l’enregistrement de votre album, où en êtes-vous ?

Nous sommes allés quatre jours en studio en février 2006. On avait déjà bien bossé avant, on était partis pour enregistrer cinq ou 6 titres mais on a pu en graver douze. Les voix ont été faites plus tard.

Globalement, ces titres sont cohérents, avec la même énergie du début à la fin. Comme j’amène à chaque fois de nouveaux morceaux en répétition, nous pourrions maintenant en rajouter sept ou huit sur l’album.

Nous ne sommes pas dans l’optique de sortir un album immédiatement sous prétexte d’avoir dix morceaux. Actuellement, lorsque l’on va démarcher un label, on ne considère pas avoir un vrai album. On va reprendre des journées de studio en mars, pour enregistrer les autres. Ceux qui ne seront pas sur le disque sortiront ailleurs, seront mis sur le net ou sur un deuxième disque même s’il ne sort que plus tard.

Tunde, le chanteur de TV On The Radio chante sur un de vos titres, comment cette rencontre s’est-elle faite ?

Il s’agit en réalité d’une grosse clique. Le guitariste de Mike Ladd, que je remplace au clavier, est devenu le batteur de TV On The Radio. J’ai joué du saxo avec eux lorsque j’étais à New-York et depuis je suis super pote avec le chanteur. Il va d’ailleurs venir le 19 février dans le cadre de notre résidence à la Flèche d’Or. On va préparer un set avec lui avec des chansons de TV On The Radio réarrangées, et lui qui jouera sur des morceaux à nous.

Tu as commencé tes concerts à Manhattan et Brooklyn, tu peux nous en dire plus…

Je suis parti cinq semaines l’année dernière là-bas avec le disque pas prêt du tout, il y avait juste quatre-cinq morceaux sur lesquels j’avais fait des voix. Comme je connais pas mal de monde, l’idée était de dénicher quelques dates. J’ai commencé par faire quatre concerts seul. Ensuite, après avoir joué au Texas dans un festival, Syd Matters devait venir cinq jours à New-York où l’on s’est retrouvé. Je les ai aidés à trouver des dates et j’ai fait leur première partie. Comme Jonathan était là, on a joué à deux, guitare-clavier tout simplement. Ça s’est fait car la situation le permettait mais rien n’était planifié. Maintenant on pourrait envisager de le faire.

Quelles différences as-tu pu noter entre le public new yorkais et le public parisien ?

Pas mal d’idées reçues sur ces deux publics … En fait, le public parisien se déplace alors que le public new-yorkais, il faut aller le chercher chez lui en taxi ! Par contre quand ils sont là, ils peuvent être super critiques ou super à fond dedans. Quant aux parisiens, ils sont un peu mous mais n’hésitent pas à venir nous voir à la fin pour nous dire que c’était mortel. Toutes nos dates à Paris étaient toujours largement remplies.

Vous vous êtes produits en décembre dans un club de jazz, le Franc Pinot : le concert a été filmé et enregistré. Que pensez-vous en faire ?

Quelques titres seront conservés et proposés en CDR à nos concerts. En effet, les spectateurs nous demandent souvent des disques et comme nous sommes encore en démarche avec des labels, je n’ai pas envie de vendre notre album ni mixé, ni masterisé.

Tu n’as bien sûr pas pu passer à côté du phénomène Paris Calling ? Quel regard portes-tu sur ce mouvement ?

Je n’ai rien contre eux, mais je n’aime tout simplement pas leur musique. Je n’ai pas de rancœur. Je leur souhaite de réussir, mais avec le respect que j’ai pour eux et les gens qui bossent avec eux, je n’y crois guère. Ce qu’il s’est passé sur cette scène depuis un an m’a prodigieusement ennuyé musicalement, et pourtant je les ai vus sur scène. En Angleterre, il y a cette culture populaire depuis les Beatles. Tout ça n’existe pas chez nous. Par contre, il y a des groupes parisiens qui ont plus de bouteille dont je me sens plus proche.

Donc justement quels sont les songwriters, les formations actuelles qui te touchent ?

Je ne vais pas parler des gens de mon groupe ! Parmi les gens qui m’ont touché à Paris, je citerais Stuck In The Sound, une excellente surprise. J’ai entendu un morceau une nuit dans une émission qui m’a littéralement scotché, avec un côté glam, à la Bobby Conn ou Bowie. J’imaginais un groupe anglais ou américain. Fancy, surtout leurs concerts, la production de leur disque moins. Hey Hey My My, je trouve ça magnifique. Le dernier Joanna Newsom. TV On The Radio évidemment. Grizzly Bear. On Montreal. Sinon, sur une scène un peu plus dark, Animal Collective, tous ces trucs là … Le premier Rapture, le deuxième moins. Le dernier McCartney … Un hollandais qui s’appelle Medicines. Klaxons aussi.

Des projets en terme de collaborations ?

Medicines va venir faire un morceau avec nous. Même si j’aime bien l’idée d’inviter des gens, j’aime bien aussi l’idée de rester seuls car on est une équipe forte et on aura toujours le temps de faire d’autres choses après. Sinon, je bosse toujours avec Mike Ladd et puis bientôt avec une demoiselle qui s’appelle My Bee’s Garden. Sami du groupe Domingo doit aussi venir jouer de la mandoline sur un de nos titres.

Et côté concerts, des dates de prévues pour 2007 ?

Quelques dates, sachant qu’une tournée à sept n’est pas envisageable en terme financier tant que nous ne sommes pas signés. Par contre, restent les festivals comme Panorama au mois de mai où l’on doit se produire en première partie de Peter Van Poehl et Higelin. Sinon, au coup par coup, peut-être des dates en province, en Angleterre et pourquoi pas seul si je retourne aux Etats-Unis. L’avantage du groupe, c’est qu’il existe autant de formations qu’il y a de membres : tout est modulable.

Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour 2007 ?

De continuer ! Trouver un label serait bien car ça permettrait de faire exister le projet. Mais je ne suis pas trop inquiet là-dessus. Ce qui m’inquièterait serait d’être en panne d’inspiration ou qu’une grosse dispute éclate dans le groupe, que l’on ne soit pas d’accord sur une ligne esthétique ... Que ça arrête d’être naturel en fait. Mais je n’en ai pas vraiment peur.

Quelque chose à ajouter ?

Spécial dédicace à NTM et à MC Solaar !