Réalisé par Laura Carreira. Drame. 1h44. Sortie le 29 octobre 2025. Avec Joana Santos, Neil Leiper, Ines Vaz, Piotr Sikora, Ola Forman.
"On Falling" pourrait n'être qu'un documentaire, précis, méticuleux sur le commerce en ligne et ses petites mains qui s'évertuent à scanner les objets inutiles que tout le monde achète à un prix dérisoire. Essence du l'après-capitalisme moderne, ces grands entrepôts où de petites fourmis laborieuses s'agitent à une vitesse chronométrée où chaque seconde gagnée rapporte des milliards à Jeff Bezos, n'attirent guère le regard des cinéastes. Il faut une jeune réalisatrice portugaise supportée par Ken Loach pour se dévouer et étudier en entomologiste un immense hangar écossais où se déploie toute la nouvelle misère d'un monde technologique sans autre logique que le profit immédiat et la destruction progressive de nouveaux prolétaires qui se croyaient des citoyens européens, cosmopolites, bien accrochés à leurs portables garants de leur avenir radieux.
"On falling" de Laura Carreira, c'est l'histoire d'Aurora, une jeune portugaise arrivée pleine d'allant au Royaume Uni. Certainement très fière de son niveau d'anglais qui tranchait avec celui de ses parents, souvent francophones (les pauvres !) parce que leur servitude à eux c'était souvent la cage d'escaliers parisienne. Aurora gagne-t-elle vraiment au change ? Elle qui va profiter de cette chance d'être une locutrice à la page pour chercher des objets hétéroclites dans des travées kafkaïennes bourrées de choses dérisoires. Elle va jouer jusqu'au bout : scanner, biper ce qui finira plein les armoires de toutes les foules sentimentales occidentales.
Aurora, c'est Joana Santos. Parfaite, capable de faire croire qu'elle est insignifiante alors qu'il faut une grande actrice pou parvenir à tromper les spectateurs clients des babioles empoisonnées qu'elle scanne jusqu'à la nausée. Elle ne vient pas de rien, Joana... Elle a des grandes petites sœurs dans la même famille, Emilie en Rosetta, Barbara en Wanda, Delphine en Jeanne D.
En produisant le film, Kean Loach s'est un peu tiré une balle dans le pied, car sa protégée, Laura Carreira, a compris dans ce premier long métrage ultra-prometteur, les limites de son maître. Elle met Aurora dans une situation typiquement loachienne : à la suite d'un problème de portable, tout son équilibre financier (elle vit à l'euro près) s'effondre. Colocataire dans un appartement véritable tour de Babel, elle risque de ne plus pouvoir payer le loyer, de ne plus remplir le frigo, etc... Chez Loach, l'enchaînement serait fatal et la jeune femme aurait connu une fin mélodramatique ; Au "noir, c'est noir" du vieux Loach marqué par toutes les défaites des prolos anglais depuis Mme Thatcher, elle oppose envers et contre tout un adage de bon sens : "y'a toujours une lumière". Cette lumière, c'est les autres. L'esquisse d'une esquisse de la réapparition d'une solidarité humaine que le système Bezos ne peut éradiquer complètement.
Mais si ! Ken ! La lutte des classes et la conscience collective peuvent renaître. ça commence toujours par le droit au bonheur, fut-il un petit bonheur, pas par l'immanence du malheur...
