Réalisé par Déni Oumar Pitsaev. Documentaire, Drame. 1h48. Sortie le 22 octobre 2025. Avec Déni Oumar Pitsaev, Mathilde Trichet.

Il a deux prénoms "Déni" pour les Français, "Oumar" pour les tchétchènes. Et, si on veut, un troisième pour les Russes, "Andrei". Il a vécu à Grozny, à Saint Petersbourg et sa mère, séparée de son père, s'est réfugiée avec lui en France où il est devenu cinéaste...

Dans "Imago", le voilà en Géorgie, dans la vallée de la Pankassi où se sont installés pendant la guerre avec le pouvoir russe beaucoup de tchétchènes, dont une partie de sa famille. Une importante colonie a fait souche là-bas, avec la bienveillance des Géorgiens, par solidarité antirusse...

Déni Oumar Pitsaev découvre ce petit paradis, ce presque pays de Cocagne quand on sait ce qu'ont vécu ses ex-compatriotes. A l'ombre de son cousin qui est devenu un très riche notable en "produisant" des judokas et des champions d'arts martiaux rapportant des médailles à la Géorgie, le réalisateur a acheté un lopin de terre. Il souhaite, ou prétexte vouloir construire sa "maison". Pendant tout son film, il se promène sur "ses" terres, découvre un petit monde paisible et heureux, composé de ces gens qu'en Occident on assimile plutôt à des barbares, des mafieux ou des terroristes. Non, les tchétchènes d'"Imago" sont des gens souriants, souvent bourrés d'humour et loin d'être des brutes. Comme ses parents eux-mêmes. Sa mère ne voulait-elle pas le prénommer du patronyme d'un de ses poètes préférés ? Son père remarié, sa seconde femme et les demi-frères de Déni ne vivent-ils pas à Saint-Pétersbourg où ils sont enseignants et étudiants ? Tous parlent russes, bien sûr et s'ils sont musulmans, peuvent aussi être non -pratiquants sans que cela gène les croyants...

Sans doute, y a-t-il encore des tabous que le film évoque avec subtilité et qui auront sans doute leur grande part dans la décision finale de Déni Pitsaev de ne finalement s'installer dans ce lieu bucolique, réparateur pour un peuple qui a beaucoup souffert. Pour l'heure, c'est surtout un bon prétexte pour y faire venir successivement sa mère, puis son père. Là, dans cet endroit qui rappelle la Tchétchénie, ne serait-ce que parce qu'elle est tout près, derrière les montagnes. Il va les interroger, apprendre des choses sur eux et sur lui. S'il n'attend finalement que des précisions avec une mère avec qui il a vécue depuis toujours, c'est avec son père qu'il va tenter de solder les comptes... et avec une caméra qui les filmera pour rendre la chose solennelle et définitive. La scène où il parle avec son père dans les bois et où sort toute sa rancœur face à un déjà vieil homme qui avoue maladroitement son amour pour un fils dont il s'est peu occupé et qu'il aurait selon celui-ci abandonné dans Grozny bombardée, est d'une grande force. Tout cela dans un océan de douceur, où détonnent ces quelques éclats de voix...

Donc, in fine, on l'a déjà révélé, la maison qu'il voulait utopique -une sorte de cabane futuriste à hauteur d'arbres- ne sera pas. Peut-être parce que la question rituelle que lui posent ses tantines, cousines, sans compte sa mère et son père (quand te marieras-tu ?) a à voir avec un tabou que cette société apaisée mais pas forcément progressiste n'est pas près d'abandonner et qui s'appelle l'homosexualité. Très copain avec un jeune homme solitaire, le cinéaste comprend qu'il devra toujours taire ses préférences sexuelles, ne surtout jamais les révéler dans une culture où la virilité impose de respecter les us et coutumes d'un patriarcat tribal qui remonte à la surface dans ce pays néo-rural. Pas sûr que dans une génération, les femmes que rencontreraient là-bas Déni Oumar Pitsaev aient les mêmes réparties, cette même liberté qu'elles ont actuellement face aux mâles de leur communauté.

Reste un beau moment de la vie d'un homme qui a en partie résolu des questions qui le taraudaient, qui a vu des tchétchènes heureux (en particulier tous ces jeunes gens nés après la guerre) et qui sait que sa vie est désormais, qu'il le veuille ou non, celle d'un Européen.
Une belle réflexion d'un homme sur lui même, une belle immersion dans un endroit qui pour l'heure est la vraie vallée du bonheur tchétchène retrouvé...