Réalisé par Alexander Kusnetsov. Documentaire. 1h34. Sortie le 29 octobre 2025.

ll y a quelques années, avec "Territoire de la liberté" (2014), Alexander Kuznetzov filmait une espèce que les Occidentaux ne pensaient pas trouver au cœur de la Russie post-soviétique : des hommes libres.

En 2016, avec "Manuel de libération", c'est le contraire qu'il montrait : deux jeunes filles, Yulia et Katia, adolescentes orphelines, étaient victimes d'une erreur administrative aux graves conséquences puisqu'elles étaient transférées de l'orphelinat sibérien où elles vivaient à un hôpital psychiatrique. Sans papiers d'identité, elles étaient "condamnées" à rester là ad vitam aeternam. Le film a contribué a changer la donne et les revoilà "libres" dans le second film que Kuznetzov leur consacre. Un beau film, bien sûr critique de la Russie de Poutine, puisqu'il débute en 2022, au moment même où commence la guerre avec l'Ukraine et montre une manifestation de pacifistes courageux qui se font embarquer parce qu'ils contestent la boucherie à venir.

"Une vie ordinaire" va donc conter la dizaine d'années où les jeunes filles vont retrouver une vie normale, trouver du travail, des logements, des compagnons et accoucher de petits garçons tout de suite patriotes grâce aux dessins animés et aux défilés auxquels leurs mères les emmèneront après avoir bien votés pour qui on imagine.

Yulia et Katia, elles sont pleines de courage, heureuses d'avoir réintégré une vie simple de russes heureux d'être russes et de vivre dans un pays où les accouchements que Kuznetzov filme se passent bien mieux qu'aux Etats-Unis, trace de l'état social russe qui n'est jamais vanté ici. Eh oui, la Russie n'était pas qu'un goulag. Etre opposant ne signifie pas décrire un pays à feu et à sang, un état policier aussi voyant que la garde nationale dans les rues de Chicago 2025. Si quelquefois, la schizophrénie pointe, Yulia et Katia, qui perdent peu à peu leurs physiques de jeunes filles pour devenir des femmes russes, fortes et bien charpentées, sont à la dimension de millions de leurs concitoyens : tout ça leur échappe. Elles votent Poutine sans écouter LCI, les bienheureuses !

Dans son documentaire riche en informations et pauvre en désinformation, Kuznetzov fait un état des lieux qui servira aux futurs historiens. Certains trouveront peut-être qu'il est complaisant avec le régime alors qu'il filme un monde tranquillement en marche. Evidemment, le problème où cette marche va conduire ce peuple gavé de patriotisme. Dans une chanson consacrée aux Russes, "Russians", Sting écrivait : "I hope the russians love their childrens too"... C'est la question que résout le cinéaste d'"Une vie ordinaire". Il sait que les Russes aiment leurs enfants, et que cela ne les empêchera pas d'en laisser mourir un paquet dans le bourbier ukrainien. Que deviendront les petits garçons des deux femmes dont on suit la vie ? Ne seront-ils pas de la chair à canon à qui on érige ces monuments dont ils sont déjà coutumiers, des monuments qu'ils visitent le dimanche avec leurs gentilles mamans...

Quand il achève son tour d'horizon très réussi d'une Russie éternellement immuable, Alexander Kuznetzov a une dernière pensée off pour Katia et Yulia : "Que leurs rêves se réalisent. Amour, famille, enfants, elles ont tout réussi. Et moi, je me retrouve dans un pays comme dans un asile de fous. Je crois que nous vivons tous dans un immense asile de fous. Je suis pourtant né dans un monde qui semblait doux et familier. Je l'aimais infiniment..."