"La peinture et la vie sont profondément liées." George Condo

Plongée dans un réalisme artificiel

Au Musée d'Art Moderne de Paris, les formes s'animent. L'exposition George Condo réunit plus de 120 peintures et sculptures, dont plusieurs inédites à Paris, suspendues avec une liberté qui semble défier la gravité. Chaque oeuvre nous entraîne dans un vertige où le temps se dilate et se déforme. Condo dévoile un univers peuplé de figures grotesques, délicates ou inquiétantes, comme si chaque peinture respirait d'une existence propre, indépendante de celle de l'artiste. "Nous créons notre propre réalité à partir de ce que nous souhaitons voir se produire dans notre monde."


The Portable Artist, 1995

Les visages de l'âme

Les personnages de Condo oscillent entre grâce et disgrâce, se fragmentent et se recomposent. Le grotesque devient langage, la caricature révèle des vérités possibles, et la peinture explore l'âme dans toute sa complexité. Chaque trait surgit d'un vertige intérieur : "Je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je ressens."


The Actress, 2018

Le dialogue avec Guattari

Le pinceau de Condo n'est jamais décoratif : il vit, respire, s'emballe ou s'apaise selon l'élan intérieur de l'artiste. Les couleurs se heurtent, s'étreignent, se répondent, traduisant un équilibre subtil entre contrôle et abandon. Dans le Paris des années 1980, Condo trouve en Félix Guattari un compagnon de pensée. Le philosophe l'invite à sonder l'inconscient et la multiplicité de la subjectivité, à laisser le chaos intérieur affleurer à la surface. Guattari percevait dans son art une potentialité schizoïde, capable de révéler la folie douce de l'âme humaine et le grotesque du monde. Chez Condo, la peinture devient alors un langage silencieux et vibrant, un art qui pense par la matière et interroge le réel sans mots, où chaque coup de pinceau raconte vertige et liberté.


The Executioner, 1984

Une fusion des époques

Dans un désordre orchestré, figuration et abstraction se confrontent et se complètent. Condo fait dialoguer Pollock et Haring, Velázquez et le graffiti, Picasso et ses monstres psychologiques. Ses Name Paintings de 1984 célèbrent la singularité de l'artiste, tandis que ses sculptures et gravures, réalisées avec des maîtres artisans comme Aldo Crommelynck, révèlent son obsession du détail et de la technique.

La vie parisienne, ses dîners au Train Bleu, ses nuits à peindre avec Basquiat et Haring, infuse ces oeuvres d'une énergie rare. Les toiles de 1989, telles que Painting for the French Revolution ou Back in Paris, traduisent l'effervescence du bicentenaire et la félicité intime de l'artiste.


The Clown Maker, 1984

Peinture de la pensée

Condo revendique une double filiation : maîtres de la Renaissance et avant-garde moderne. Il reprend les codes du portrait classique pour les faire imploser. Ce qui émerge est une peinture de la pensée : le chaos de l'esprit surgit à la surface du visible.

"En peinture, j'essaie de créer une réalité qui n'a jamais existé." Sa réalité parallèle se construit à coups de couleurs, de visages distordus et de rires suspendus. Le spectateur n'y trouve pas de réponses, mais un miroir mouvant, peut-être le sien.


Picture Gallery, 2002

Entre grotesque et grâce

L?exposition révèle la tendresse derrière la folie. Condo observe sans juger, offrant à ses créatures un espace pour refléter nos contradictions. Dans ce théâtre pictural, le grotesque devient grâce et la peinture un acte de compassion silencieuse. Chaos, humour et dissonance s'entrelacent pour créer un langage plastique unique, où passé et présent se rencontrent, où chaque détail compte et chaque geste de pinceau raconte. Paris, scène et laboratoire de Condo, devient à son tour une source d'émerveillement et de vertige.


George Condo

Crédits photos : Paola Simeone, avec l'aimable autorisation du Musée d'Art Moderne de Paris