Peindre la ville vivante
Avec Paname, le Petit Palais ouvre ses galeries à une voix singulière de la peinture contemporaine : celle de Bilal Hamdad, artiste franco-algérien qui transforme Paris en théâtre d’ombres et de lumières. En dialogue intime avec les toiles de Courbet, Carolus-Duran, Fernand Pelez ou Léon Lhermitte, il tisse un récit visuel où le quotidien devient scène mythologique.
Vingt œuvres, dont deux inédites, composent cette exposition, la première d’envergure muséale consacrée à l’artiste, qui érige la capitale en miroir de l’âme humaine.
Né en 1987 à Sidi Bel Abbès, formé à Alger, Bourges et aux Beaux-Arts de Paris, Bilal Hamdad peint la ville comme on écrirait un poème documentaire. À partir de photographies prises sur le vif, il recrée des fragments de vie urbaine : visages absorbés, gestes suspendus, reflets fuyants. Ses compositions monumentales célèbrent la solitude moderne autant qu’elles la questionnent, dans une tension entre effervescence et silence.
Les reflets du réel
Chez Bilal Hamdad, la lumière devient matière. Ses toiles, baignées de clair-obscur, oscillent entre précision documentaire et lyrisme pictural. À la manière de Caravage ou Velázquez, il fait surgir la grâce de l'ordinaire : un bol de mandarines sur un comptoir, un regard perdu dans la foule, un chien qui fixe le spectateur comme pour l'inviter à entrer dans le tableau.
Son Reflets (2024) en est l'exemple parfait, une scène de café parisien où la couleur, vibrante et charnelle, se mêle à la douceur des gestes. Derrière cette apparente quiétude, l'artiste déploie une réflexion sur la fugacité du temps, l'impermanence de l'instant, et la beauté discrète de l'humain.
Chaque oeuvre semble respirer. L'huile sur toile, dense et lumineuse, capte le mouvement des corps comme celui de l'air. À travers ses cadrages serrés, Hamdad saisit la ville dans son souffle le plus intime, celui des petits riens qui fondent notre mémoire collective.
Bilal Hamdad, Reflets, 2024. Huile sur toile, 245 × 200 cm. Collection particulière.
Un réalisme habité
S'il convoque l'héritage des maîtres anciens, Bilal Hamdad en fait une matière vivante, non une citation. Ses personnages, souvent isolés dans la foule, rappellent les figures silencieuses d'Edward Hopper, tout en résonnant avec la frontalité des portraits de Manet. Le peintre puise dans la tradition réaliste un langage nouveau, plus intérieur, plus suspendu.
Bilal Hamdad, Sérénité d'une ombre, 2024. Huile sur toile, 150 × 130 cm. Collection particulière
Paris, miroir du monde
Paris, miroir du monde En investissant les salles du Petit Palais, Hamdad fait entrer le Paris d'aujourd'hui dans le patrimoine.
Ses scènes de métro, ses marchés de quartier, ses cafés lumineux résonnent avec les fresques du XIXe siècle, tout en ouvrant un espace pour les visages contemporains : ouvriers, livreurs, adolescents, flâneurs anonymes.
Dans Rive droite (2021), la sortie du métro Barbès-Rochechouart devient allégorie du métissage urbain. L'artiste y célèbre la diversité sociale et culturelle de la capitale, tout en soulignant la fragilité des existences invisibles.
En écho à Les Halles de Paris de Léon Lhermitte, son grand tableau Paname (2025) répond à l'histoire du musée. Peint au printemps dernier, il saisit l'énergie d'un marché éphémère à la sortie du métro, un instant suspendu entre poussière et lumière, où chaque geste devient trace. Ainsi, Hamdad poursuit la tradition des peintres de la vie moderne, tout en renouvelant la peinture comme espace de mémoire et d'empathie.
Bilal Hamdad, Paname, 2025
Une mélancolie lumineuse
Sous la lumière parfois crue de la ville, Bilal Hamdad cherche la part invisible du réel. Dans Nuit égarée (2023), les corps flottants évoquent à la fois les gisants médiévaux et les naufragés contemporains. Cette tension entre beauté et drame traverse toute son oeuvre : elle dit la vulnérabilité du monde, mais aussi sa persistance poétique.
L'artiste peint l'entre-deux ce moment fragile où la vie hésite, vacille, résiste. Son pinceau capte la respiration d'un siècle saturé d'images, mais en quête de silence.
Bilal Hamdad, Nuit égarée, 2023. Huile sur toile, 160 × 200 x 4,5 cm. Fondation François Schneider
Un chant pour Paname
Avec Paname, Bilal Hamdad ne peint pas seulement Paris : il en restitue la pulsation intérieure. Chaque toile devient un battement, une confession, une prière douce adressée à la ville. En combinant les échos des maîtres du passé et le tumulte du présent, il compose une polyphonie visuelle où la peinture redevient un langage vital.
Son art, à la fois classique et urgent, rappelle que le réel a encore besoin d'être regardé avec lenteur, avec tendresse, avec foi.
Bilal Hamdad
Crédits photos : Paola Simeone, avec l'aimable autorisation du Petit Palais