Le nouvel album d’Andrea Laszlo De Simone, qui fait suite à un EP à la beauté indépassable (Immensità, 2019) et la jolie BO du Règne animal, est constitué des ingrédients qui font sa marque de fabrique : ballades pop orchestrales, italien douloureusement poétique, arrangements de cordes qui tuent.

Si chaque morceau de Una Lunghissima Ombra applique la recette habituelle, faire tourner deux ou trois accords de chialade absolue jusqu’à l’hypnose, tenter d’épuiser la ritournelle, on entend cette fois-ci entre chaque chanson des drones inquiétants, hantés, parfois quasi-religieux.

Un groupe dont on se souvient trop peu, Edison Woods, ponctuait en 2000 sa musique des mêmes parts d’ombre, avec un effet similaire : les ballades semblent émerger des ténèbres, s’extirper laborieusement du marasme pour orner la boue. Un disque de l'époque, quoi.

N’allez pas chercher la splendeur dans les mélodies : celles-ci n’ont aucune originalité, elles sont rebattues comme un vieux disque qui hoquète en sillon éternel dans un film d’horreur. La beauté est ailleurs. Peut-être dans l'espoir naïf que jamais personne n'a fait ça avant. C'est un peu comme dans le film Yesterday : les Beatles n'ont jamais existé. Ou alors, il n’y a qu’eux qui existent (ce film-là reste à écrire).

Au-delà des arrangements, qui me rendent malade de jalousie dans leur faculté scientifique à tirer les larmes au plus sec des amaretti, l’élégance de Una Lunghissima Ombra réside aussi dans les parties de batterie bien intelligentes de Filippo Cornaglia. Ça danse au milieu des flaques, ça sautille dans les enfers : la batterie chez de Simone, c’est un peu Simone Pace chez Polnareff.

Bien sûr, la langue italienne fait elle aussi son effet. Quand Andrea vous répète "Nesuno" (dans "Un momento migliore"), on sait ce que ça veut dire, même quand on ne sait pas.

Revenons à la ritournelle, que Deleuze appelait la "répétition du différent". Les chansons de Una Lunghissima Ombra, c’est une bande originale de ver d'oreille nocturne. Tel un Patrick McGoohan de l’italo-pop, coincé dans son village de mantras harmoniques sans fin, on imagine qu’Andrea doit vivre en permanence avec ces boucles dans le cortex, et ça doit être dur. Comme Blonde Redhead, il est une machine condamnée à produire du beau.

"Non è reale", c'est une litanie qu'Andrea doit se réciter chaque matin, pour survivre. On se souvient à l’écoute de ce titre du conseil donné par Stipe à Yorke, afin d’éviter le sentiment de dépassement : "I’m not here, this is not happening". Andrea Lazlo de Simone souffre sans doute du même spleen que le dernier des Bevilacqua. C’est un prisonnier de la nuit, d'où il nous envoie de fragiles bouteilles à l’intérieur desquelles est glissé un mot : Belleza.