Réalisé par Woody Allen. Comédie. 1h 47 minutes. Sortie en 1986, ressortie en DVD et Blue Ray chez BQHL. Avec Woody Allen, Mia Farrow, Michael Caine, Max Von Sydow, Barbara Hershley, Dianna West, Lloyd Nolan, Maureen O'Sullivan, Carry Fisher.
Il y a quelques jours disparaissait Diane Keaton. A une époque désormais lointaine, Arte ou France 3 aurait bouleversé ses programmes pour diffuser Annie Hall, mais les temps ont changé et Woody Allen est devenu si infréquentable qu'il faut visionner ses films à domicile à ses risques moraux et périls intellectuels.
La remastérisation de plusieurs de ses films sera l'occasion pour qui le souhaite de voir ou revoir, par exemple, des Woody Allen qui ne souffraient aucune contestation dans les années 1980 et étaient quasiment unanimement célébrés par la critique et le public urbain français.
Avec Hannah et ses sœurs, on est devant un des films de l'ère "Newyorkienne" de l'humoriste hypocondriaque. Outre son numéro attendu, il y a un défilé de comédiens impressionnant et une ville magnifiquement filmée par un Carlo Di Palma magistral.
Trois soeurs, donc. Comme chez Tchekhov tant aimé du clarinettiste à lunettes. Hannah est la cheville ouvrière d'une famille qu'elle porte à bout de bras. Star de Broadway, elle s'occupe de ses parents, anciennes gloires des planches et de l'écran, élève des enfants qu'elle a adoptés et surtout assure une espèce de tutelle sur ses deux autres soeurs. Si l'une n'a pas encore trouvé sa voie, elle attire des hommes qui pourraient être des pères et qui l'empêchent de trop s'interroger sur sa place, l'autre a voulu suivre les pas d'Hannah. Sans succès et en accumulant les addictions et les inhibitions.
En trois Thankgiving, le petit monde d'Hannah sera bouleversé, son règne sans partage ébranlé, mais au rythme des airs de jazz, elle aura peut-être compris que sa sérénité dépendait du bonheur autonome de ses deux sœurs...
Hannah et ses soeurs est un Woody Allen où il ne vampirise pas toute l'attention. Au point que le film pourrait se dispenser de son personnage, du moins des scènes où il est confronté classiquement à ses obsessions médicales. Ici, c'est Mia Arrow qui est au centre de tout. Elle est entourée de sa "vraie" mère (Maureen O 'Sullivan) qui fut la "Jane" de Tarzan, de ses enfants naturels ou adoptifs. Cette problématique de l'adoption combinée avec celle de la possibilité ou non de pouvoir encore enfanter préoccupe beaucoup les personnages, tout comme elle préoccupera la relation entre Mia et Woody.
Par rapport aux films qui viendront après, bien longtemps après, celui-ci entremêle de nombreuses histoires ou micro-histoires. Chaque fois que les sœurs d'Hannah sont confrontées à des hommes, elles découvrent de nouveaux aspects de la masculinité. En 1985, les femmes n'ont pas vraiment le pouvoir, notamment celui d'écrire ce qu'elles pensent des hommes. Woody Allen ne pense pas les rapports des sexes sous l'angle de la suprématie, du rapport de forces. L'homme est naturellement le sexe fort, même quand il est opportunément fragilisé par ses peurs de vivre ou de mourir. Michael Caine, mari d'Hannah, peut séduire sa sœur mais c'est lui qui choisit in fine laquelle il doit garder pour ne pas se compliquer inutilement la vie. Le machisme de Woody Allen, quarante ans après, est visible de tous alors qu'il fallait bien du courage pour le dénoncer à la sortie du film.
Nonobstant, tout ce qui saute désormais aux yeux, cette comédie, la plus familiale des comédies de Woody, celle aussi où il s'intéresse le moins à sa judaïté (tout en cherchant une religion de substitution), est pleine de charme et se suit facilement. Chaque plan est un hymne à l'amour, que ce soit l'amour filial, l'amour parental, l'amour de l'homme pour la femme, sans oublier l'amour pour une ville et sa musique emblématique, le jazz.
Oeuvre légère, libre et pleine de fantaisie, elle n'en porte pas moins les prémisses de ce qui va se passer de plus horrible entre Mia et son mari-réalisateur. Mais il ne faut pas à tout prix en refaire une relecture noire. En regardant Hannah et ses sœurs aujourd'hui comme hier, le spectateur partage avec ses deux protagonistes un beau moment de bonheur, un des plus aboutis parmi la douzaine de films qu'ils tourneront ensemble pendant plus d'une décennie.
