Réalisé par Radu Jude. Comédie. 2h 50 minutes. Sortie le 15 octobre 2025. Avec Adonis Tanta, Gabriel Spahiu, Alexandru Dabija, Lukas Miko, Adrada Balea.
Depuis Nosferatu de Murnau et Dracula de Tod Browning, les films sur les vampires n'ont pas cessé de se multiplier. Aux classiques vampires des Carpates se sont joints zombies et morts-vivants de toutes origines cinématographiques.
Mais de temps à autre, quelques cinéastes ambitieux décident de s'emparer du mythe originel pour donner leurs propres visions. En soi, "Dracula" est un exercice de style. Souvent périlleux comme récemment celui commis par Luc Besson.
Quand Radu Jude, cinéaste roumain à la filmographie généreuse, a proposé de s'y atteler à son tour, on savait, au moins, qu'il avait pour lui la légitimité géographique, qu'il allait remettre le comte aux canines assoiffées de sang là où devait être, là où il retrouvait ses origines, à commencer par sa langue.
Connaissant Radu Jude, il fallait se douter qu'on serait plus du côté foutraque du Bal des Vampires de Polanski que du gothisme maniéré des films avec Bela Lugosi ou Christopher Lee. Rien de romantique, évidemment et pas beaucoup de rapport avec l'œuvre au premier degré de Bram Stoker.
Pour compliquer sa tache et prendre du plaisir à vampiriser le vampire, Radu Jude a filmé des séquences entières à l'iPhone, s'est autorisé le premier à se servir d'une intelligence artificielle (une vraie fausse) pour rafraîchir (ou pas) le mythe. En presque trois heures, Dracula prendra bien des avatars, du théâtre grand-guignolesque au jeu vidéo, voire à une séance de défoulement collectif dans une Roumanie infestée plus par les touristes (américains) que par les vampires locaux.
Certains pourront juger tout cela vain et gratuit alors que d'autres admireront les recherches formelles et scénariques d'un cinéaste qui est en plein bouillonnement esthétique, politique et théorique.
Ce n'est pas un hasard si alors que sort "Dracula", on peut déjà découvrir depuis quinze jours un autre film de Radu Jude, Kontinental '25, tourné entièrement à l'iPhone et un livre-somme, dont on reparlera, La fin du cinéma peut attendre (éditions de l'oeil), contenant une longue interview de Jude par Cyril Neyrat résumant ses réflexions sur un art qu'il proclame bien vivant.
Godard est mort et le cinéma lui survit annonce le cinéaste roumain. Finalement, il était logique qu'il passe par la case "Dracula" pour montrer que le cinéma aborde son deuxième siècle en se régénérant avec tout ce qu'il peut recycler, des réseaux sociaux à l'IA de Netflix aux jeux vidéos. Métaphore de l'impureté, d'une vie chaotique, hallucinée et morbide, le vampire a de beaux jours (ou de belles nuits) devant lui. Il a aussi de quoi occuper les écrans. Le "Dracula", version patchwork de Radu Jude, avec plus de cent personnages interprétés par une vingtaine d'acteurs, se dévore à belles dents. Evidemment avec des hauts et des bas qui valent bien mieux que la constance calibrée des faux chefs-d'œuvre contemporains hollywoodiens, comme pour ne pas nommer le dernier en date, Une bataille après l'autre, nouvelle baudruche de l'épuisant et exaspérant Paul Thomas Anderson.
