Texte de Beaumarchais adapté et mis en scène par Léna Bréban, avec Philippe Torreton, Marie Vialle, Éric Bougnon en alternance avec Pascal Vannson, Grétel Delattre, Salomé Dienis Meulien, Annie Mercier, Jean-Jacques Moreau, Grégoire Oestermann, Antoine Prud'homme de La Boussinière, Jean Yves Roan.
Jouée pour la première fois en 1784, La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro est sans doute le sommet de l'œuvre dramatique de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. C'est peu dire que l'on y sent le souffle irrésistible d'un monde nouveau incarné par Figaro, théoriquement valet du comte Almaviva, mais un valet qui raisonne et qui n'a rien d'un domestique, ni soumis ni se complaisant dans la dissimulation.
C'est un homme libre à la parole forte et incontestable. Qu'il soit ici interprété par un homme déjà mûr (Philippe Torreton) ne nuit en rien au rôle et à la force de son discours. Que le Comte (Grégoire Oestermann), de la même génération que son "employé" veuille user de ses privilèges pour conquérir Suzanne (Marie Vialle), camériste de son épouse, la comtesse (Grétel Delattre), qui est déjà engagée avec Figaro, prend même une dimension moderne à l'ère du consentement.
Attention. Dans cette version menée avec beaucoup d'allant par Léna Bréban, il n'est pas question de ne pas respecter le texte de Beaumarchais, de se permettre des anachronismes - si l'on excepte certaine chanson fredonnée, petit clin d'œil sans conséquences.
Dès lors, tout le travail de la metteuse en scène a consisté à rendre limpide une intrigue que son auteur s'est plu à embrouiller à souhait. Et elle y est parvenue avec simplicité et élégance. Sans autoriser, comme souvent, les facilités d'un second degré qui alourdit plutôt qu'il n'allège.
La scénographie modulable d'Emmanuelle Roy permet que tous les changements se fassent alertement, et avec le concours de tous les comédiens. Quant aux costumes d'Alice Touvet, ils permettent à chacun de se mouvoir sans être engoncé tout en étant clairement identifiable. Dans la geste de Figaro, la manière de caractériser Chérubin est toujours importante et Léna Bréban a pris un parti radical : lui donner les traits masculins d'Antoine Prud'homme de la Boussinière. Il n'est pas le page fragile et efféminé de la Comtesse comme il est souvent présenté.
Clair et sans équivoque, tel pourrait se définir ce "Figaro". Tous les acteurs choisis - et bien choisis - ne minaudent jamais. Ils sont au taquet, savent montrer toute leur puissance. Chaque affrontement s'achève sans vainqueur. Léna Bréban fait sienne l'axiome qui veut que "chacun a ses raisons". C'est le bon sens qui l'emporte. Ainsi Marceline, incarnée avec jubilation par Annie Mercier et sa voix grave, accepte de bonne grâce ce qui va changer le cours du récit.
Aux côtés d'un Philippe Torreton impérial, Marie Vialle et Grégoire Oestermann prennent un grand plaisir à jouer dans un classique, à l'instar de toute la distribution où personne ne fait pas de la pure figuration ou sert uniquement de faire valoir. En conséquence, aucun des comédiens n'est laissé sur la route et il règne à chaque instant un climat joyeux et bienveillant sur la scène.
Les jeunes gens qui auront la chance de découvrir un auteur du "répertoire" grâce à Léa Bréban, se souviendront bien sûr de Philippe Torreton et de ses partenaires, mais admettront surtout que le théâtre français classique, s'il est bien monté, n'est ni ennuyeux ni poussiéreux.
En tout cas, cette "Folle journée" sera l'occasion d'une très belle soirée.
