Spectacle d'après Ingmar Bergman mis en scène par Valérie Drouot, avec Cristina Figari et Juliette Lambot..
Contrairement à beaucoup de grands cinéastes du siècle passé, Ingmar Bergman ne connaît pas de purgatoire. Disparu en 2007, il reste un grand nom, et un nom vivant, de la culture européenne.
Paradoxalement, c'est le théâtre qui lui permet de rester dans les mémoires. Car, le génie suédois n'avait jamais cessé de monter les grands auteurs, de Shakespeare à Strindberg, et d'adapter ses propres œuvres.
Récemment, Ivo Van Hove a mis en scène dans le même programme "Après la répétition" et "Persona" au Théâtre de la Ville, avec Charles Berling et Emmanuelle Bercot.
Aujourd'hui, c'est Valérie Drouot qui s'attaque à "Sonate d'automne", film de 1978, dans lequel les deux plus célèbres Suédois du 7e art, portant de surcroît le même patronyme sans avoir de lien de parenté, Ingrid et Ingmar Bergman, se rencontraient.
Le film, comme souvent chez l'auteur de "Monika", était très théâtral et son adaptation à la scène était évident. Il y a quelques années d'ailleurs, Françoise Fabian et Rachida Brakni avaient déjà interprété une version théâtrale de "Sonate d'automne".
Peut-être par excès de modestie, la pièce montrée dans une mise en scène de Valérie Drouot s'intitule, elle, "Fragments d'une sonate d'automne". Il ne faut cependant rien craindre d'un titre qui peu rebuté alors qu'il vise le contraire, car ce que propose sur scène le duo d'actrices est à la hauteur de leur ambition.
Certes, la généalogie pourrait être écrasante : Cristina Figari, qui joue Eva, la fille introvertie de Charlotte, la concertiste reconnue internationalement, succède à Liv Ullman, alors que Juliette Lambot a la lourde charge d'incarner Charlotte, créée par un des plus grands monstres sacrées hollywoodiens, Ingrid Bergman.
Le verdict est pourtant là : les deux femmes s'en sortent bien.
Elles sont les personnages et supportent sans jamais faiblir tout ce que Bergman a sédimenté sur elles. D'un côté, Eva a toujours été dominée par sa mère, elle est inhibée, pleine de problèmes jamais résolus, d'autant qu'elle n'est pas très heureuse avec son mari, vit quasi retirée du monde et s'occupe de sa sœur handicapée. De l'autre, Charlotte, est une pianiste célèbre, d'un égoïsme absolu, qui vient de perdre son dernier compagnon et revient dans la vie de sa fille après sept années d'absence, sans vraiment avoir envie de régler le passé, pire encore sans penser qu'elle a laissé ses proches avec un passé à régler.
La pièce, à l'image du film, est un suspense, une tension psychologique sur comment ce séjour improvisé va pouvoir se dérouler. Dès le départ, il est évident que le climat ne sera pas serein. La suite le prouvera fatalement.
Eva se retrouve vite en infériorité face à sa mère qui, volontairement ou pas, continue de la "manger" sur tous les plans. Mais la révolte est proche de poindre, car la mère, le temps passant, n'a peut-être plus assez de force pour un combat inutile. On peut imaginer qu'il s'agit du dernier affrontement entre les deux femmes. On peut même affirmer qu'elles ne se reverront plus.
Il faut souligner le beau travail des actrices qui construisent pas à pas, mot à mot, cet affrontement verbal sanglant. Et cela sans avoir vraiment besoin d'élever le ton, ou simplement à quelques moments-clés. Cristina Figari sait jouer de son léger accent qui ajoute au départ de la faiblesse à sa parole, et qui peu à peu donne à sa colère une couleur plus assurée. Félicitations à Juliette Lambot, d'ordinaire auteure plus qu'actrice, qui réussit à habiter un rôle d'ogresse domestique, de mère excessive et baroque, et cela avec beaucoup de subtilité. Le face-à-face constant des deux actrices est parfait. Dans une atmosphère où domine le noir et le rouge, Valérie Drouot sait rendre le manichéisme intense imposé par Bergman.
Jadis, les détracteurs du réalisateur suédois se riaient de son "intellectualisme", prétendaient qu'il se complaisait dans un climat austère pour ne générer qu'ennui et morbidité. Ceux qui connaissent son œuvre, et qui seront forcément venus voir ces "Fragments d'une sonate d'automne", admettront qu'il n'en est rien et que cette adaptation est bien plus bergmanienne que celle d'Ivo Van Hove.
Ceux qui ignoraient à la fois l'auteur et son cinéma devront remercier les trois protagonistes de cette version qui, outre qu'elle est l'occasion d'une belle soirée théâtrale, les introduit dans l'univers d'un créateur majeur, sans doute le seul à avoir prouvé que le cinéma et le théâtre ne faisaient souvent qu'un.
