"I've been picking names for our children
You've been wondering how you're gonna feed them
Love is not enough in this world
But I still believe in Nebraska dreaming
'Cause I'd rather die
Than be anything but your girl
I never meant to hurt you
But somehow, I knew I would"

La rivière d’Ethel Cain est un torrent. Apprendre à pardonner était un des thèmes du premier et superbe disque (Preacher’s Daughter sorti en 2022) d’Ethel Cain. Pardonner à sa famille, à la ville entière, à l’Amérique qui l’aura traité comme une sorcière. Pardonner le rejet, la marginalisation sociale, les contraintes et les traumatismes émotionnels, la violence, les abus, la haine des autres.

Mais Ethel Cain c’est une nouvelle naissance, un changement de peau, la révélation d’une vérité. Celui d’Hayden Silas Anhedönia. Une seconde naissance pour celle qui a grandi dans une famille évangélique plutôt radicale dans la petite ville de Perry, en Floride et qui sera rejetée quand, à l’âge de 12 ans, elle déclare son homosexualité puis devient transgenre. Preacher’s Daughter baignait dans une esthétique musicale slowcore tout en clair-obscur, dream pop sombre, gothique et country (Lana Del Rey influence majeure adorée autant que détestée) loin du tout-venant, avec des textes forts (et parfois hard) et une grosse dose de mysticisme presque poisseux.

Si Preacher’s Daughter avait eu un impact émotionnel, à la vie à la mort, très fort, et une trame narrative passionnante, en est-il de même avec Willoughby Tucker, I’ll always love you ? Oui, clairement oui.

"She really told me all, She’s not good at raising children but she’s good at raise hell"

Pensé à l'origine comme un EP de faces B (se rapprochant du génial Perverts, disque très sombre, conceptuel entre drone, ambient et noise sorti en janvier et qui creusait les rapports amour / haine avec la religion), Willoughby Tucker, I'll always love you est comme un préquel, un addendum à Preacher’s Daughter. La discographie de la chanteuse devrait suivre une véritable ramification narrative puisque qu’elle envisage d'enregistrer une trilogie d'albums qui racontent l'histoire de trois générations de femmes d'une même famille. Preacher’s Daughter est le premier de cette trilogie, devrait suivre Preacher's Wife portant sur la vie de Vera Cain, de sa relation avec le père prédicateur à la disparition de sa fille Ethel, puis, Preacher's Mother se polarisant cette fois sur la grand-mère d'Ethel.

Ce disque se concentre sur la relation d'Ethel Cain avec son ex-petit ami Willoughby Tucker, qui débute en 1986, leur amour impossible, leurs traumatismes communs, les pulsions sombres, leur séparation, avant l’histoire cathartique (fuite de chez elle, rencontre avec un homme, mort) d’Ethel dans Preacher's Daughter. Elle continue naturellement d’y déconstruire le rêve américain moderne. La sortie des abstractions de Perverts lui apporte une certaine profondeur même si stylistiquement c’est assez éloigné, Willoughby Tucker, I’ll always love you renoue avec une musique souvent envoûtante, slowcore, onirique et "gothique" aux accents sudistes. Et de grandes chansons qui touchent comme Waco, Texas, Fuck me eyes, Janie ou Dust Bowl. Un disque à la sublime beauté sombre et troublante. Fascinant et bouleversant.