C’est dans un cadre idyllique et en milieu d’après-midi que j’ai eu le plaisir de rencontrer Fetus, guitariste et chanteur et Manard, batteur d’Ultra Vomit, avant leur show au Foreztival.
Vous allez vite constater que sous leur air "comique" se cachent des musiciens de talents et deux personnes adorables et disponibles. Mais trève de blabla et place à l’interview.
La dernière interview que vous aviez accordée à Froggy Delight, c'était en 2019, c'était avec David et Samuel. Je voulais savoir un petit peu ce qui s'était passé entre temps, entre 2019 et aujourd'hui, ce que vous aviez fait de beau.
Fetus : Ah, il s'en est passé des choses. Déjà, il s'est passé une pandémie, par exemple. Je ne sais pas à quel moment c'était en 2019.
Fin d'année.
Fetus : Ah, donc il y avait déjà eu les festivals, il y avait déjà eu le Hellfest.
Oui, c'était en novembre, je crois.
Fetus : C'était quand même un concert assez important pour nous, avec une affluence de dingue. Et qu'est-ce qui s'est passé après ? La tournée a continué à fond après, de toute façon.
Manard : Jusqu'au Covid. Jusqu'à Toulon.
Fetus : Oui, exactement. La fin du monde.
Manard : Après, on a fait un album. On a fait le gros 4. Le gros 4 en tournée, avec Tagada, No One is Innocent et Mass Hysteria. Ensuite, on s'est mis à composer pour le nouvel album. Et puis après, on a sorti le nouvel album. Et puis après, on a tourné pour le nouvel album.
Fetus : Par exemple. Et puis après, le nouvel album. Il y a eu des petites dingueries comme ça (rires)
Manard : Oui, carrément.
Et pendant le confinement, vous vous êtes dit à un moment, c'est fini, on fera plus de musique ?
Fetus : Ce qui était bizarre, c'est que comme on était en fin de tournée de l'album Panzer Surprise qui était sorti en 2017, on était déjà quand même plus vers la fin de la tournée. Les gens se disaient : "tu dois être dégoûté, les concerts et tout". Et en fait, j'étais là, tranquille, je n'ai pas ressenti de frustration. Parce que j'ai eu plein d'autres exemples de mecs, de groupes à qui on a coupé les pattes. Tu viens de sortir un album, tu commences à tourner et ça, c'est horrible parce que tu as travaillé pour ça et rien.
En fait, nous avons eu de la "chance", c'est qu'on avait déjà bien tourné pendant deux ans et demi, trois ans. On était moins dégoûté de s'arrêter. On avait déjà fait 2 Hellfest, l'Olympia, le sentiment du devoir accompli, on va dire ça comme ça. Les dates qui restaient, forcément, tu as envie de les faire, tu es frustré. Mais il y avait une moins grosse frustration. On s'est juste dit que cela allait reprendre quand cela allais reprendre.
Et puis, le seul truc que je me suis dit : qu'est-ce qui se passe ? Si ça se trouve, les concerts, c'est fini. Je regardais les matchs de foot à la télé. Je me suis dit : si ça se trouve, c'est comme ça maintenant, le foot. Tu vois, je regardais la Ligue des Champions, c'était triste. Et donc, c'était pour la vie en général, pas que pour les concerts. Si ça se trouve, la vie va changer. Les regroupements de gens, ça va plus être la même chose. Il y avait quand même un inconnu total.
Il y avait une petite angoisse, forcément. Finalement, cela a repris et on a fini la tournée comme il fallait. Les dernières dates qui nous restaient, les reports. Et ça s'est tellement bien passé qu'on a eu envie de continuer derrière. Cela nous a motivés. Et peut-être que ça motive, justement, d'avoir vécu une période comme ça.
Je me rappelle avoir suivi sur YouTube un concert en direct des Dropkick Murphys dans un stade de baseball à Boston. Et on s'aperçoit que la musique, s'il n'y a pas le public...
Fetus : Je te donne l'exemple du foot. Je regardais les matchs, c'était d'une tristesse, ce n'est plus pareil s'il n'y a pas l'ambiance, si tu n'entends pas les chants de supporters derrière, si tu n'entends pas la vibration du stade.
Manard : Cela dit, il y a pire, parce que si tu enlèves le ballon... (rires)
Fétus : Ouais, si tu enlèves le ballon, c'est chaud. D'ailleurs, ça me fait penser à certains bugs dans les jeux vidéo. Parfois, le ballon disparaît. J'ai déjà eu ça : ah, quel enfer ! Tu joues en ligne, normalement les deux devraient dire on arrête de jouer, il n'y a plus de ballon. Et le mec ne veut pas perdre ses stats de division, je ne sais pas quoi, quand tu joues en ligne à FIFA. Donc, les deux cons sont comme ça : non, je vais essayer de gagner, quand même. Donc, tu vois le mec qui court, tu te dis que c'est lui qui doit avoir le ballon, j'imagine. C'est un sketch. Bon bref, c'est pour les connaisseurs, ça.
Enfin, c'est un cliché de dire ça, mais jouer de la musique, quand on répète entre nous, on s'aime bien, ce n'est pas la question. Mais le vrai plaisir, c'est quand tu as le retour des gens en face. On a dit ça dans une autre interview : il y a certains morceaux, quand on les joue entre nous, on se fait limite un peu chier à les jouer, je parle des vieux morceaux. Et quand on les joue en live, ils prennent tout leur sens. Et du coup, c'est énorme, parce que c'est le retour qui fait ce truc.
Manard : C'est vrai que c'est important. Pour moi, il y a deux aspects de la musique. C'est vraiment la création et les morceaux, la composition. La composition, c'est un aspect de la musique et le live, c'est un autre aspect de la musique. Pour moi, les deux sont très complémentaires et différents. Je pense qu'on fait des morceaux pour nous, on peut se faire marrer entre nous. Et effectivement, partager ça avec le public, c'est autre chose.
Et justement, la composition, comment ça se passe ?
Fetus : Très mal, j’écris toute la musique et les textes (rires). Les autres sont de simples exécutants !
Manard : Il n'y a pas de formule de composition. Il y a quelques schémas, mais la plupart du temps, Flockos ou Fetus font des maquettes parce qu'ils sont guitaristes, ce sont des gens qui savent faire de la musique. Et ils font des maquettes, ils ont des concepts, ils nous les soumettent. Et on travaille ça après dans le groupe. Puis, parfois, ça peut venir de concepts idiots, de délires de tournées.
Fetus : Souvent, ça part quand même d'un délire qui nous fait marrer entre nous. Une phrase, un truc, ça peut être juste un mot. Ça peut être un mot-clé.
Manard : Effectivement, c'est ça. Le concept est limite plus fort que le riff, on va dire. Mais même là, il n'y a pas de formule. On a déjà fait des morceaux à partir d'un riff neuneus qui nous faisait marrer.
Fetus : Ça arrive, mais souvent, c'est plus poussif de partir de la musique. De toute façon, c'est plus facile quand on part d'un air de chant, d'une imitation de voix, d'un gimmick vocal, d'un jeu de mots à la con, d'un titre, peut-être parfois plus que d'un riff. Parce que les riffs, on en a plein. Et faire un riff de metal, ça ne va pas forcément nous emmener bien loin d'avoir un bon riff.
Quand on a un riff, on le met dans une espèce de banque de données, gros riff ou je ne sais pas quoi. Peut-être cela donnera un truc si ça marche. Et parfois, je ne sais pas, si on prend Calojira par exemple, le mélange de Calogero et Gojira, c'est une impro en répétition à l'époque. Et là, il y a une espèce d'alignement de planètes de ça matche sur un riff qui fait Gojira, Calojira, là, tu es obligé de le faire.
Manard : Ouais, parfois, il y a un signe divin, il y a un peu de magie. Parfois, il y a des concepts qui traînent pendant des années et des années sans qu'on n'arrive à rien en faire. Ricard Pénard, Kammthaar, ce sont des concepts qui avaient des dizaines d’années. Ricard Pénard, la première démo qu'on avait faite, n'a rien à voir avec le morceau qui existe aujourd'hui, mais ça date de 2004. Donc, on est sur du 20 ans quasiment.
Il y a des concepts comme ça qui marinent. Puis parfois, ça va hyper vite : on arrive en répète, quelqu'un a un concept et puis tout le monde rebondit dessus. Et en une répète, on a quasiment un morceau fini. Il n'y a vraiment pas de formule. Et puis, il y a quand même Fetus, qui est la tête pensante du groupe, qui amène la majorité des concepts...
Fetus : C'est le mec qui a eu l'opération, là.
Manard : Oui, c'est ça. Tout le monde participe, tout le monde peut amener un concept, tout le monde peut amener une connerie. Mathieu Bosson, il en fait un peu moins, mais même lui, il a ramené des trucs forts. C'était lui qui a trouvé le truc du coq, le gimmick.
Fetus : C'est très possible, je me rappelle de ça. En tout cas, ça vient d'un vocal où il me faisait marrer et je l'avais enregistré.
Manard : Et il avait trouvé le titre de Toxoplasma Gondi.
Fetus : Oui, il a eu plusieurs interventions.
Manard : Et parfois, ça rebondit. Par exemple, j'ai des idées, mais comme je ne suis pas trop musicien à part la batterie, en fait ce sont les autres qui vont rebondir dessus et qui vont faire un truc avec. Sur le dernier album, c'est quand même Fetus et Flockos qui ont fait la majorité des trucs.
Je me suis imaginé que vous tombiez sur un canard, parce que je sais que vous collectionnez les canards vivants et ce canard est magique et va exaucer un vœu. C'est celui de choisir l'artiste de votre choix ou les artistes, d'ailleurs, avec qui vous aimeriez partager la scène ou le studio, ou composer un morceau, mort ou vivant.
Manard : Ah oui, l'artiste mort, moi, je vais te dire Patrick Sébastien. (rires) En vrai, c'est stylé. Non, mais c'est chaud, il y en a plein. Enfin, moi, c'est hyper simple, les artistes morts...
Fetus : Ozzy !
Manard : Non, mais Ozzy, je ne sais pas, je l'ai vu en live, ce n'est pas pareil. Non, mais il y a des artistes morts que je n'ai jamais vus.
Fetus : Queen !
Manard : Queen, c'est sûr. Queen de la grande époque, je crois que ça fait quasiment l'unanimité, je pense. Après, il y a Nirvana aussi.
Fetus : Oui, Nirvana, je serais curieux, forcément. La question, c'est de partager la scène avec...
Ça peut être de jouer avec eux ou de composer avec eux.
Manard : Ah oui, composer, je ne sais même pas si j'aurais le...
Fetus : Composer, moi, c'est avec Michael, c'est sûr.
Manard : Oui, j'avoue, Michael ! Composer avec Michael, ou avec, je ne sais pas, Elvis Presley… Il ne composait rien. Mais franchement, ça aurait été marrant.
Fétus : Imagine, Michael : "Non, vas-y, fais plutôt ça". Non, je crois que c'est le moyen de se marrer. “Non, non, la double, si tu peux faire de la double, un peu plus groovy, la double.” (rires)
Manard : Michael Jackson, Nirvana et Queen, quoi.
Ce sont les principales influences, ce sont eux qui vous ont donné envie de faire de la musique ?
Fetus : Mon premier crush d'un groupe avec de la guitare, parce qu’en fait, mes premiers crushs de musique, c'est probable que ce soit de la danse ou des trucs comme ça, des musiques de films, genre les musiques de Star Wars, et toujours à ce jour, ça reste le haut du panier, tu vois.
Manard : Moi, Indochine, je crois, les premières cassettes.
Fetus : Mais je pense, les premiers vinyles de ma mère que j'ai écoutés en... Pas en cachette, parce qu'il n'y a pas de cachette...
Manard : Si, c'était des vinyles porno, je crois. (Rires)
Fetus : C'était tout simplement les Beatles (prononcé Bea-tless). Pour moi, ça reste la grosse base, quand même. Et puis, vu que je sais que tout ce qui vient après, Michael Jackson, Nirvana, ce sont que des gens qui se revendiquent des Beatles, bon, bah, la base, ce sont les Beatles.
Manard : Les Beatles (prononcé Bea-tless) ou les Beatles ?
Fetus : Les Bea-tless. C'est pour ça, je te dirais, les Beatles, en tant que source du truc, on va dire, et puis après, évidemment, tout ce qui vient derrière. Tu sais, même Lemmy de Motörhead, il parlait des Beatles.
Manard : Lemmy de Motörhead, lui, parlait du conflit entre les Rolling Stones et les Beatles. Et tout le monde pensait que Lemmy était plus rock'n'roll, qu’il allait citer les Rolling Stones, et en fait, non, il a mouché tout le monde. Pour lui dans un des groupes, il n'y a que des gosses de riches qui ne savent pas de quoi ils parlent, et il y a un autre groupe, ce sont des fils de prolos qui sortent de nulle part. Et en fait, il parlait des Beatles, c'était trop marrant. Bon je caricature, c'est peut-être pas exactement ce qu’il a dit. J'ai lu l'anecdote il y a longtemps.
Lemmy, par exemple, c'est quand même... Je l'ai vu plein de fois en concert, j'ai eu la chance de le rencontrer, mais j'avoue qu'il manque. Tu vois, ce sont des personnages qui manquent comme ça, comme Ozzy qui va manquer, bon là, il vient juste de mourir.
Mais je n'aurais pas la prétention de dire, je veux faire un projet avec ces mecs-là, ce n'est pas possible. Tu vois, Michael, on parle de Michael, je ne pourrai jamais tenir tête à ce mec-là.
Fetus : Je pense que ce serait un peu compliqué.
Manard : Mais même des mecs qui ne sont pas encore morts, Metallica, des mecs comme ça, ou Gojira.
Fetus : Imagine, Mario Gojira.
Manard : Ben non, pareil, je n'ose même pas lui parler.
A chaque fois que je pose la question, tous les musiciens me répondent la même chose en disant, non mais je n'ai pas le niveau, c'est fou quand même.
Manard : Oui, pourtant, ces musiciens-là, tu vois, on parle de Nirvana. Kurt Cobain ce n'est pas un grand guitar Heroe.
Fetus : Non, mais c'est juste un bon songwriter.
Manard : Oui, c'est un mec qui avait un charisme surtout, qui avait une personnalité, qui a apporté un truc à la musique.
Fetus : Ça ne veut plus rien dire quand tu dis : est-ce que c'est un bon guitariste. En fait, non, dans le sens où il ne va pas te faire du Satriani. Par contre, il va te sortir "Come As You Are" ou un truc comme ça, un riff tellement con que tout le monde va l'avoir en tête. Donc, du coup, oui, c'est un bon guitariste.
Je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de gens qui retiennent tous les riffs de Satriani.
Manard : Ben, ce n'est pas le meilleur exemple du guitar Hero.
Fetus : C'est catchy quand même. Mais Nirvana, c'est l'exemple du truc complètement épuré où justement, on revient à des trucs tellement basiques avec quatre accords et qui font mouche. C'est du punk rock en fait, du coup, ça ne veut rien dire.
Manard : D'ailleurs, Kurt Cobain était fan de Black Sabbath.
Fetus : Oui, ça ne m'étonne pas.
Manard : C'est difficile de choisir des artistes qui ont disparu. Par exemple, je n'ai jamais vu Metallica et Cliff Burton. En fait, j'aimerais plus faire le jeu de "qui aurais-tu aimé qu'il ne meure pas pour voir l'évolution". J'aurais vraiment, mais je te jure, ça, c'est un truc, c'est un fantasme, une dimension parallèle, voir l'évolution de Metallica s'il y avait Cliff Burton dedans tout le temps.
NDLR : je retiens cette idée, merci Manard.
Fetus : Oui, je vois ce que tu veux dire.
Manard : Ça aurait été hyper intéressant.
Fetus : On peut faire la même chose avec Dave Mustaine.
Manard : Si Dave Mustaine n'avait pas été viré de Metallica.
Fetus : Je ne te cache pas que moi, Nirvana, je suis quand même curieux.
Manard : Pourquoi ?
Fétus : Parce que le mec a 27 ans. Et quand tu vois la fulgurance de la carrière, en 4 ans, il passe de Bleach à L’Unplugged. C'est comme Amy Winehouse, ce sont des espèces de trucs fulgurants comme ça. J'aurais quand même bien aimé voir le mec à 45 piges : qu'est-ce qu'il fait ?
Est-ce que ce n'était peut-être pas justement trop fulgurant ?
Manard : Il a cramé la mèche par les deux bouts, c'est sûr. Il y en a un aussi que j'aurais bien aimé voir parce que son dernier album, c'est son chef-d'œuvre, c’est Balavoine, j'aurais vraiment aimé voir ce qu'il aurait pu faire aussi après.
Fetus : C'est clair, 33 ans. C’est hyper jeune. Tu sais, quand je me dis que j'ai quasiment 10 ans de plus, je me dis, c'est ouf.
Manard : Il avait plus de 40 ans, je crois, quand même, non ?
Fetus : En fait, je ne sais pas pourquoi, j'ai retenu ça parce que je crois que dans un morceau d'Orelsan, il dit comme Jésus, Bruce Lee et Balavoine 33.
Manard : Bruce Lee, franchement, j'aurais bien aimé voir ce qu'il aurait fait. Son dernier album, il est vraiment cool, Opération Dragon. Et Jésus aussi. Jésus, franchement, j'aurais bien aimé voir ce que son dernier album a fait. (rires)
En 2019, dans l'interview que vous aviez accordée, vous disiez qu'en gros, pour vous, le metal ne se renouvelait pas tellement. Est-ce que vous aviez l'impression qu'il n'y avait pas forcément de renouvellement ?
Fetus : En plus, je me rappelle avoir dit ça.
Et aujourd'hui, est-ce que vous trouvez qu'il y a eu du mouvement ?
Fetus : Il faut vraiment distinguer. Peut-être à l'époque, je m’étais mal exprimé. Je parlais vraiment surtout des grosses têtes d'affiche. Par exemple, typiquement, quand tu es au Hellfest : les 6, 7, 8 gros noms que tu vas mettre sur ton affiche...
C’est un peu toujours les mêmes ?
Fetus : Ce n'est pas que c'est toujours les mêmes. Oui, déjà, parce que c'est un peu logique. C'est qu'on parle de gens qui ont marqué leur époque : soit des gros dinosaures, type Scorpion, Kiss, etc., soit des groupes un peu plus récents, comme Korn, Slipknot, des trucs comme ça.
Manard : C'est déjà vieux.
Fetus : Mais qui encaissent la statue de tête d'affiche. De toute façon, pour encaisser la statue de tête d'affiche, c'est difficile d'arriver du jour au lendemain et faire :"Salut, je suis tête d'affiche". C'est difficile. Il faut vraiment avoir un truc fulgurant pour faire ça.
Mais en fait, je m'inquiétais à l'époque, je me rappelle, je me disais : "qui va prendre le relais pour les années à venir ?" Tu vois, aujourd'hui, quand je vois que Muse est en tête d'affiche, je me dis : "est-ce que ce n'est pas un aveu ?" "Merde, on ne peut plus rien mettre, donc on est obligé de chercher, d'élargir". Parce qu'en fait, il n'y a plus de têtes d'affiche metal suffisamment intéressantes, nouvelles, pour venir.
Mais je ne parle que des têtes d'affiche. Par contre, si on va sous les Altar Temple, en début d'après-midi, je sais très bien, et là, je n'ai aucun doute sur le fait que c'est méga pointu et que le metal n'a jamais été aussi florissant. Il y a des groupes dans tous les sens, hyper intéressants.
J'écoute moins de metal qu'avant, donc je ne peux même pas te citer des groupes. Mais je vois bien que pour la scène metal, il n'y a aucun problème. Par contre, les locomotives, les grosses têtes d'affiche, celles qui font que les gens vont venir, ça, c'est un sujet. Parfois, je me dis, une fois que les Maiden, les Judas Priest, les machins, n'existent plus...
Manard : Tu verras, quand Ozzy va crever, tu vas voir.
Fetus : C’est ça ! Je me pose la question aujourd'hui, mais on aurait pu se la poser il y a 20 ans. Qu'est-ce que ça veut dire, le metal ? Au début, c'était un truc vraiment rebelle. Aujourd'hui, quand les gens vont dans des grands festivals ouverts de metal, c'est très populaire. Il y a des gens qui viennent en mode casual : "Je n'écoute pas trop de metal, mais ça me fait marrer". Quel est le sens de ce truc-là ? Comment ça se renouvelle ? Cela ne me dérange pas que ça s'ouvre, cela ne me dérange pas du tout qu'il y ait Muse. En plus de ça, on parle de groupes qui sont relativement bourrins.
Manard : Moi, j'adore Muse. J'ai vu le concert au Hellfest. J'ai trouvé ça sympa. C'est vrai qu'il y a eu quelques problèmes techniques, mais je n'ai pas trouvé ça incroyablement déplacé. Après, c'est sûr que s'ils font jouer Maître Gims... Je suis le premier à dire non, les gars.
Fetus : Tout dépend où tu mets la limite. Et là, chacun va avoir des avis différents : "Sum 41, ce n'est pas possible", etc.
Manard : Par contre, je me souviens quand j'avais 20 ans de moins, c'est-à-dire quand j'étais un jeune con, cela ne serait jamais passé.
NRLR : Nous sommes interrompu par Mathieu Bosson, le bassiste qui revient d’un massage, parce que oui, au Foreztival les artistes sont chouchoutés et par Elodie Epictour, que j’avais eu le plaisir de rencontrer lors du premier concert de Madame Robert dans la Loire.
Manard : Quand j'avais 20 ans et que j'étais un jeune métalleux, si j'avais été dans la période Hellfest d'aujourd'hui, j'aurais été le premier à chier sur les têtes d'affiches genre Muses et tout. Donc, il faut laisser le temps aussi aux gens de mûrir, et de mettre un peu d'eau dans leur vin. Franchement, avant, j'étais un énorme puriste. Après, j'ai rejoint l'économie. (rires)
Fetus : Même si tu es puriste et que tu vas au Hellfest, comme je disais si tu veux voir des trucs pointus, tu en as sur toutes les scènes, tu as des trucs de fous. En fait, là, on parle vraiment des têtes d'affiches. Quand tu viens voir tes groupes spécifiques sur La Vallée, sur l'Altar, au pire, tu snobes les têtes d'affiches, ce n'est pas très grave. Par contre, je trouve que c'est quand même important d'avoir des énormes têtes d'affiches. C'est comme ça, c'est le jeu. Sur ton festival, surtout quand tu as cette prétention-là.
C'était ma remarque en 2019, mais je pense que c'est une vraie question. Et je n'ai pas la réponse. Mais comment ça va se renouveler ? Quels groupes vont être les futurs Maiden et compagnie ? Les futures têtes d'affiches "dinosaures" plus tard ? Qui va prendre le flambeau ?
Manard : Moi, je te réponds : personne. En fait, il va y avoir une évolution.
Fetus : Forcément, il y a forcément des groupes qui vont prendre la tête d'affiche. Gojira, par exemple, est plus récent, mais ça peut prétendre à être la tête d'affiche.
Manard : Oui, mais Gojira, j'ai l'impression que c'est une exception.
Fetus : De toute façon, des têtes d'affiches, par définition, tu n'en auras pas 50 000. Sinon, ce ne sont plus des têtes d'affiches.
Manard : J'ai l'impression qu'on va passer sur une nouvelle période, une nouvelle ère où il y aura moins ces énormes groupes qui prennent toute la place. Il y aura encore des énormes groupes.
Fetus : Mais il y aura moins d’écart. C'est valable dans la société en général.
Manard : Sauf si tu parles d'Elon Musk.
Fetus : Ce que je veux dire, c'est que tout le monde fait un peu ces trucs. Tout le monde crée sa chaîne TikTok, tout le monde a l'impression d'être important.
Manard : Oui, c'est ça.
Fetus : Cela nivelle tout.
Manard : Tu peux sortir du jour au lendemain, mais s'extirper autant que l'ont fait les groupes légendaires, c'était une autre époque.
Fetus : À l'époque, quand les mecs sortaient, le focus était mis là-dessus. Des gens mettaient du pognon dessus, des vrais labels, et les groupes qui étaient dans l'ombre ne pouvaient pas exister. Aujourd'hui, tu peux plus facilement sortir toi-même. Tu peux faire un son de fou en metal. Tu peux le faire assez facilement si tu es bon, si tu as du bon matos.
Manard : Avec l'IA, tu n'as même plus besoin de composer (rires).
J'avais une autre question. Est-ce que vous vous revendiquez d'un style ? Je n'aime pas coller des étiquettes, je dis toujours les étiquettes c’est pour les pots de confiture, pas pour la musique.
Manard : J'ai une bonne confiture, mais je ne savais pas si c'était fraise ou abricot.
Est-ce que vous vous sentez plus proche d'un style dans le metal qu'un autre ?
Fetus : Quand on s'est rencontré avec Manard, on n’écoutait pas exactement les mêmes trucs en metal. J'étais plus dans le néo-metal, les gros sons modernes, Korn, Slipknot, etc. Manard, c'était plus du thrash à l'ancienne, Annihilator, Coroner...
Manard : En tant qu'auditeur, je ne saurais même pas te dire mon style de metal préféré. Dans Ultra Vomit, c'est pour ça qu'on se permet de toucher un peu à ce style de metal.
Fetus : Il y a des trucs qu'on a en commun. Il y a des gros groupes, des classiques, des Pantera, etc. Mais on est assez ouvert. Ceux sur lesquels on était vraiment câblés, c'était typiquement Les Inconnus. Ça n'a rien à voir avec du metal, mais c'était ça la base, le noyau dur du truc.
Manard : Une fois, on a fait l'exercice de savoir qui est le groupe qui met tout le monde d'accord dans Ultra Vomit. C'était Green Day. Même Metallica ne mettait pas tout le monde d'accord. Je pense que Queen, quoique Flockos n'est peut-être même pas passionné par Queen.
Fetus : Je me rappelle, on a fait le jeu longtemps. Green Day, tout le monde mettait 4 étoiles. Moi, j'adore, tout le monde adore. Ce n'est même pas du metal, c'est du punk rock.
Manard : C'est assez difficile. C'est pour ça aussi que Ultra Vomit part aussi dans tous les sens. On aime bien varier les plaisirs. Il n'y a personne dans le groupe qui est monomaniaque d'un style. Je l'ai été pendant une période avant le premier album. Avec du gros brutal death. J'étais à fond là-dedans, mais j'en suis un peu sorti. Même à l'époque où tu étais dans ton grind et tout…
Fetus : Déjà des JJ, des Michael, Les Inconnus. En metal, ce qu'on aime faire, c'est taper dans plein de styles différents. Il y a des groupes de black metal qu'on trouve trop bien, genre Immortal.
Manard : Mais toi, tu es quand même heavy metal. Moi, je ne peux pas choisir entre heavy metal, thrash metal, death metal et black metal. Ça dépend de mon humeur. Il y a des moments où je n'écoute que du black metal. Je n'ai pas envie d'Helloween. Il y a des moments où je n'écoute qu’Helloween.
Souvent, quand je lis les bios vous concernant, c'est "groupe parodique" qui ressort. Vous le revendiquez, vous en êtes super heureux ou est-ce que par moments, ça freine un petit peu ? Les gens vont penser que vous êtes, excusez le terme, des guignols ?
Manard : Même si on assume le côté parodique, c'est vrai qu'il y a un phénomène qui est relou. Parfois, on sort des morceaux qui, pour nous, ne sont pas forcément parodiques. Les gens cherchent toujours à savoir quel groupe est parodié. Le problème, c'est que les gens sont uniquement dans ce prisme de la parodie sans se dire il y a peut-être des morceaux, parfois, on n'a pas envie de parodier, on a juste envie de faire un bon morceau.
Fetus : Ce qui n'est pas évident, mais là, c'est pareil. C'est comme on disait tout à l'heure sur les intentions et comment ça va être pris derrière. Par exemple, je prends l'exemple de Kammthaar. Evidemment c’est Rammstein. Chanté en Allemand, évidemment. Sauf qu'en fin de compte, le riff principal, pour moi, ce n'est pas du Rammstein, c'est Exodus, Metallica. Ce n'est pas spécifiquement un riff de Rammstein dans l'esprit où il peut y avoir des mélanges de trucs dans un morceau. On le sait très bien, parce qu'on a fait la recette, c'est un peu comme un cuistot.
Tu sais, "tiens, je vais mettre un peu d'origan". On sait qu'on va mettre un petit coup de style. Je ne sais pas, dans la chanson sur le café (NDLR : Tikawahukwa), c'est Sepultura à la base, mais le refrain, pour moi, c'est Gojira. Le pont, c'est System of a Down. À la fin, de toute façon, il y a un truc qu'on ne perd pas de vue…
Manard : Je comprends que Kammthaar, pour moi, c'est Marc Lavoine. (rires)
Fetus : Oui voilà. On connaît les recettes. Par contre, là où on n'est pas dupe et où c'est transparent à 100%, c'est que même quand tu fais le riff, que tu t'es dit je me suis inspiré de rien, aujourd'hui, je mets au défi quiconque de me faire un riff de metal qui ne ressemble à rien qui existe. C'est impossible.
En fait, c'est là où il y a la petite injustice, c'est qu'un groupe qui arrive 100% pas parodique, nouveau, personnel, lui-même, en répète, il va faire "on reprend le riff Slayer, on reprend le riff machin". Ils le savent très bien. C'est juste qu'ils ne vont pas l'assumer. Et nous, comme on fait un truc assumé-parodique, parfois, c'est un peu le revers de la médaille. “C'est que du cohab, ce n'est pas vraiment vos riffs.” Les gars, si en fait !
Manard : Et parfois, c'est marrant, parce qu'on va voir les commentaires sur YouTube, des gens sont intimement persuadés qu'on a fait une parodie d'un groupe dont on n'a jamais entendu parler. Là, "Tikawahukwa", c'était Alien Weaponry que nous n’avons jamais écouté. Par contre, ce qui est cool, c'est que ça permet de découvrir les groupes
NDLR : oui, moi aussi, je suis allé écouter Alien Weaponry, et je ne doute pas que toi aussi.
Manard : Ce que ne comprennent pas ces gens là, c’est qu’il faut remonter d’un cran ces influences. Ce groupe a sûrement été fortement influencé par Roots (NDLR : de Sepultura, pour les non initiés et autres impies). Et ceux qui ne connaissent pas Sepultura retrouvent Alien Weaponry.
Fetus : Tu peux remonter à Ozzy à chaque fois ! (rires).
Justement, vu tous les groupes que vous citez, vous avez eu combien de procès ?
Manard : Zéro.
Fetus : Zéro. Là dessus, ça s’est toujours bien passé.
Gojira a dit que c’était un honneur d’être parodié par Ultra Vomit.
Manard : D’ailleurs, c’est un honneur que ce soit un honneur !
Fetus : Et eux nous ont même motivé à la faire. On la faisait au début, en espérant que ça n’allait pas les faire chier. Ils nous avaient vu en concert et nous ont dit : "quand est-ce que vous l’enregistrez ?" et cela nous a donné envie de continuer. Comme Tagada et Le chien géant.
Manard : Après on n'a pas eu le retour de tout le monde !
Fetus : Rammstein ça les a fait marrer, à ce qu’on a lu…
Manard : Oui, c’est avéré que ça les a fait marrer.
Fetus : Il y a un truc pour l’anecdote, tu vois ce que je veux dire ?
Manard : Le chauffeur ?
Fetus : On jouait sur le même Festival que Motörhead, leur tour bus est prêt de notre loge, on rencontre son chauffeur.
Manard : Qui est Français.
Fetus : Et on lui file un album pour Lemmy, il regarde la jaquette et la tracklist. A l’époque, on n’était pas connus, on se permettait tout, on s’en foutait et il était marqué sur le titre "Quand j’étais petit (feat. Lemmy)", parce que je faisais l’imitation de Lemmy. Et là il nous fait : "je ne lui montrerais pas, il risque de mal le prendre". Pour nous, c’était tellement improbable que Lemmy chante sur notre album, bien sûr c’est une vanne. Sauf qu’avec le recul, bon il est mort il n’y a plus de risques. Quand tu as fait une photo avec lui, en 2009…
Manard : C’est lunaire !
Pour finir : quel est votre meilleur souvenir de concert et le pire ?
Fetus : Meilleur souvenir, même si sur scène ce n’est pas là que j’ai le plus kiffé, parce que je n’étais pas au top vocalement, c’est Hellfest 2019. Parce que c’était une affluence incroyable, un créneau horaire super cool. Même les jours après le concert.
Manard : Je rajoute l’Olympia avec. Il y avait une énorme pression mais quand ça se passe bien.
Fetus : C’est quand j’ai vu les images de 2019 avec les écrans et le public que j’ai dit : c’est incroyable. Ce n’est pas parce qu’il y a plus de monde que c’est mieux.
En pire, c’est le squat en Suisse où on s’est retrouvé sans le savoir avec des groupes de Black Metal à moitié nazi (rires). Il y avait des skin, on finissait le concert et des skin nous tournaient autour pour nous cramer les cheveux.
Manard : Je me souviens du Kalisto à Nantes, en début de carrière. C’est la seule fois où on s’est fait prendre de haut par des groupes, qui étaient des nobody en plus.
Fetus : On a tellement fait toutes les marches possibles de l’escalier, tu vois. On a jamais été propulsés d’un coup, on n’a pas été particulièrement aidés, mis en avant. On a tout fait étape par étape de manière poussive on va dire, mais naturelle. Entre 2001 et 2006, il y a eu des concerts étonnants. On a même fait un concert à deux (rires). Ce n’est pas le pire, parce que c’est drôle.
Manard : Je me souviens une fois où le pied de caisse claire a pété et je me suis retrouvé avec la caisse claire sur les genoux, avec la double c’est compliqué. Une fois à Laon, je perce ma peau de grosse caisse. On a fait un rafistolage avec du scotch. Combien de fois j’ai pété ma double ou je me suis même retrouvé une fois avec le lacet coincé dedans, c’est improbable.
Fetus : Une fois, tu es tombé de scène, avant même le début du concert.
Manard : C’était dans le noir, au fond de la scène et je suis tombé.
Fretus : Tu noteras qu’on passe plus de temps à évoquer les trucs de merde que les bons trucs (rires).
C’est sur ces épisodes hilarants que nous nous sommes quittés. Après leur sympathique dédicace à Seb, que je salue au passage, ce qui nous a fait entamer une discussion sur les slogans, mais que je garde pour moi.
Une fois de plus, merci à Fetus et Manard pour cette rencontre et leur disponibilité. Merci à l’organisation du Foreztival et particulièrement à Lisa, pour leur accueil.
Crédits photos : Cyco Lys
