Spectacle d'après Jules Verne adapté par Emilie Capliez et Agathe Peyrard mis en scène par Emilie Capliez avec François Charron, Emma Liégeois, Fatou Malsert, Rayan Ouertani, Jean-Baptiste Verquin, Julien Lallier (piano), Adèle Viret (violoncelle), Oscar Viret (trompette).
Quand on pense à Jules Verne et à ses "Voyages extraordinaires", tout de suite viennent en tête des longitudes et des latitudes, des pages ardues de vulgarisation scientifique maintenant désuètes à l'ère post-atomique. Parmi les dizaines d'ouvrages écrits par Verne, il n'y a pas que ça. Les "Verniens" sont souvent d'accord pour considérer "Sans dessus dessous" comme son chef-d'œuvre. Jamais adapté à l'écran, cette fantaisie démarquée de "De la Terre à la lune" pourrait intéresser Emilie Capliez qui aime cette littérature fantastico-onirique et cherche à lui donner de la visibilité de la scène. Elle a ainsi travaillé sur "Little Nemo" de Winsor McCay, l'un des grands primitifs du neuvième art, sur "L'Enfant et les sortilèges", l'opéra de Ravel écrit par Colette.
Avec "Le Château des Carpathes", elle reste dans cet entre-deux entre fantaisie et fantastique. Jules Verne n'aimait pas qu'on le considère comme un "auteur pour enfants" mais gardait toujours en lui une naïveté, une fraîcheur qui correspond aux premiers âges de la vie, ceux où l'on croit aux belles histoires qu'on s'efforce de croire plausibles même si elles ne tiennent debout que par la volonté de ceux qui en acceptent les très incertaines bases.
C'est sur ce postulat - accepter le merveilleux comme plus vrai que le banal - qu'Emilie Capliez a réveillé ce roman de Jules Verne écrit en 1892 au moment où le phonographe apparaissait et le cinéma était en gestation. Elle a alors eu la bonne idée d'en rester à ces inventions, de ne pas vouloir introduire à tout prix des "effets spéciaux modernes". Pour rester fidèle à Verne, il fallait être du côté de Georges Méliès plutôt que de James Cameron. Sans se priver d'user de la vidéo, il fallait préférer s'adonner à des jeux de miroirs et de lumières signifiants, voire s'autoriser quelques explosions et déverser l'inévitable fumée-brume...
Dans ses films adaptés de Jules Verne, le grand Karel Zeman se servait comme décors des illustrations originales des romans tirées de l'édition Hetzel. Les machines volantes et autres prenaient aussi leurs formes.
Dans son adaptation vidéo du "Château des Carpathes", Jean-Christophe Averty jouait de sa palette de couleurs et plaçait ses personnages dans un décor virtuel minimal.
A son tour, Emilie Capliez a dû faire des choix, avancer avec prudence et minutie car Jules Verne pour s'incarner doit être beaucoup transformé. Impossible d'envisager une adaptation littérale. Pour ne pas s'empêtrer dans les détails, il faut une radicalité. Ici, c'est par la musique -il ne faut pas oublier que l'histoire centrale est celle d'un aristocrate amoureux d'une diva morte -qu'Emilie Capliez a donné toute sa force au récit de Jules Verne. Ce n'est pas par hasard qu'elle a travaillé avec Solène Souriau, "dramaturge musicale". D'ailleurs, tout commence en musique et la partition d'Airelle Besson, trompettiste et compositrice, traverse tout le spectacle avec la présence permanente de trois instrumentistes, Julien Lallier (piano), Adèle Viret (Violoncelle) et Oscar Viret (trompette), qui, parfois, se mêleront astucieusement aux acteurs pour donner vie à ce village des Carpathes où il se passe tant de mystères.
Attention, la musique choisie n'a pas pour unique vocation de seulement créer une atmosphère. Certes, on entendra l'une des actrices (Emma Liégeois) interpréter "la figure ectoplasmique" de la cantatrice, mais la composition d'Airelle Besson est en soi sa vision du "Château des Carpathes" qui ajoute opportunément une deuxième dimension au travail d'Emilie Capliez qui, à l'instar du récit fantastique de Verne, veut parvenir à une apothéose en "3D"...
Ce qui pourrait être inutilement complexe est au contraire d'une grande simplicité. Chacun trouve sa place sur un plateau amené à connaître moult transformations et les comédiens, tous pris dans ce parcours haletant, ont la grande vertu de se prendre au jeu, de faire mieux que semblant et ne rechignent pas à multiplier les personnages.
Emilie Capliez a introduit une récitante (Fatou Malsert) qui contribue à la limpidité du récit. On soulignera la disponibilité de François Charron, Jean-Baptiste Verquin et de Rayan Ouertani. On les verrait bien reprendre du service, toujours dans cet esprit "feuilleton" genre "Fantôme de l'Opéra" et autres classiques de Gaston Leroux ou Maurice Leblanc.
Certains trouveront peut-être qu'à l'heure du mégotage démagogique sur le coût de la culture, choisir "Le Château des Carpathes" n'est pas d'un intérêt crucial. On leur rétorquera qu'Emilie Capliez s'adresse à tous les publics et qu'elle montre d'abord aux scolaires qu'il y a des "classiques" français à leur portée et qu'ils pourraient éventuellement les lire sans s'ennuyer. Les plus âgés y découvriront aussi un aspect méconnu de Jules Verne. Tous, enfin, verront in situ ce que signifie mettre en scène.
Car Emilie Capliez ne fait jamais d'esbroufe. On peut suivre pas à pas ce qu'elle voulut faire si l'on est capable de s'éloigner une seconde d'un récit haletant qu'elle sait mener tambour battant avec une équipe unie où chacun a l'air heureux de participer à une aventure collective où règnent plaisir et bienveillance.
