"Une bonne chanson est bonne si elle supporte n'importe quel arrangement". Ce n'est pas toujours vrai, surtout avec le recul et des productions parfois trop ancrées dans leur époque.
Fruits de la passion est un duo né d'un drôle de concept : jouer des chansons de la pop culture tendance "rétro" années 80, 90 et de les réarranger totalement pour en faire des morceaux parfois presque méconnaissables, mettant en avant les qualités de la composition dans des relectures inspirées. Point de parodie ici attention, mais le talent de deux musiciens venus du jazz qui se font plaisir.
Vous connaissez-vous depuis longtemps ? Qu'est-ce qui vous a rapprochés au point de former un duo musical ?
Arnaud Gransac : Il se trouve qu'on a étudié au CMDL, Centre des Musiques de Didier Lockwood, on n'était pas dans la même promo.
Manuel Langevin : En 2002-2003, on s'est croisés devant l'école.
Arnaud Gransac : Donc ça fait plus de 20 ans. On ne se calculait pas trop.
Manuel Langevin : Je ne t'aimais pas trop, au départ, je te trouvais un peu hautain. (rires)
Arnaud Gransac : Tu me le dis souvent... (rires) On s'est retrouvés au conservatoire de Fleury-Mérogis. J'enseignais là-bas depuis quelques années, j'y étais bien. Le directeur, qui est devenu un ami commun, cherchait un professeur de guitare. Manu avait une manière personnelle de penser la musique, beaucoup dans le partage. Il est venu enseigner là-bas, cela a été des super années où on a bien bossé ensemble en tant qu'enseignants, on a pas mal rigolé, on a fait pas mal d'expériences pédagogiques, artistiques aussi notamment.
Manuel Langevin : Pierre-Jean Zantman, qui dirigeait le conservatoire, était quand même un directeur très ouvert à l'expérimentation. On avait le champ libre pour essayer des choses, casser l'enseignement de la formation musicale, casser ces histoires de trucs un peu lourds dans l'apprentissage de la musique, essayer de faire un truc fluide.
Par la force des choses, on avait la possibilité dans ce conservatoire aussi, parce que c'était sur une commune sinistrée par la présence de la prison, on avait des sous pour faire des concerts chez l'habitant, faire des projets, jouer dans les familles qui n'ont pas forcément accès à cela, qui n'auraient jamais fait ça autrement que si on leur avait dit : "si vous voulez, on peut le faire". Ce sont les premiers projets de concerts pédagogiques qu'on a faits ensemble.
Très vite, on a monté un petit trio de jazz, pour Jazz et Marcy, et puis ensuite on a commencé à travailler sur plein de choses.
Arnaud Gransac : Et notamment une pièce de théâtre musicale que tu as écrite qui s'appelait Les Pieds Devant. On a tourné ça pas mal de fois, dans plein de festivals, des théâtres, aussi chez l'habitant, c'est un très beau spectacle. Manu, tu as arrêté l'enseignement, tu as voulu te consacrer plus à ta vie artistique.
Manuel Langevin : Tout à fait.
Arnaud Gransac : Et puis tu es allé vers plein de choses, le théâtre, accompagner des projets. Le Covid a modifié pas mal de choses, chez beaucoup d'artistes et de musiciens...
Manuel Langevin : On s'est retrouvés avec ce projet-là : Fruits de la passion, autour de ce jeu de prendre des titres super connus et de les réarranger. Donc c'était aussi cette passion-là de prendre du temps pour se dire : "qu'est-ce qu'on fait avec ça, comment on fait", on change plein de paramètres là-dedans et on essaie d'en faire presque des compositions originales, tellement on est très très loin du truc de base.
Arnaud Gransac : Mais je me souviens quand même d'un concert à Montreuil, où on a joué pour une scène partagée, et c'est là que je me suis dit : "il y a un truc à faire avec ce duo et surtout avec Manu sur scène". On jouait après un groupe de rock...
Manuel Langevin : Les Producteurs de Porcs !
Arnaud Gransac : L'équipe de Groland en fait qui avait un groupe avec feu le président Salengro, avait une musique qui envoyait quand même, c'était du rock, du punk, bien vénère.
Et nous étions en train de se dire : "on va jouer notre petite chanson là, piano-contrebasse, ça va foutre un coup de froid"... Et ça a super bien fonctionné, je me souviens que Manu a eu ce truc d'emporter la scène, d'emporter une salle pas acquise, et puis moi ça m'a conforté dans le potentiel de notre duo avec Manu qui raconte...
En fait, on prend vraiment la musique au sérieux, c'est-à-dire qu'on travaille les arrangements, on essaie de réfléchir à ce qu'on peut en faire, et à la fois il y a aussi un côté un peu rigolard...
Manuel Langevin : ... un peu burlesque, c'est une conception aussi particulière qui m'est venue de plein de choses que j'ai vues, de gens que j'ai entendu parler de l'expression de ce que pouvait être le concert comme un ensemble de petits drames, de plus en plus en vieillissant, en côtoyant des comédiens et en avançant en tout cas dans mon histoire de raconteur aussi - parce que c'est moi qui chante et qui raconte les trucs -, d'essayer de dédramatiser entre cette salle de petits drames.
On a bien compris que c'est une rencontre professionnelle, la raison pour laquelle vous êtes venus à jouer ensemble, mais pourquoi lui ? Qu'est-ce qui vous a rapproché ? Pourquoi ce duo est resté comme ça, qui a fait qu'il a perduré ?
Manuel Langevin : Je pense qu'humainement on a trouvé un truc, une espèce de forme d'humour aussi comme ça, c'est quand même important quand tu te tapes la France en long, en large et en travers d'être dans la bagnole avec quelqu'un avec qui tu partages un certain nombre de trucs. Je crois que ces dernières années - et ça se confirme dans ce duo -, j'ai compris effectivement que c'est quand même plutôt cool de ne pas bosser avec des cons. (rires)
En tout cas, j'essaie aujourd'hui, concrètement je le fais, c'est un principe de vie de ne pas bosser avec des mecs avec qui je ne voudrais pas partir en vacances ou aller au resto faire une bouffe. On sait qu'on s'est toujours vachement marré aussi.
Arnaud Gransac : Oui, c'est vrai, on s'est quand même fendu la poire assez sérieusement. Je me souviens encore, on a fait un mariage d'un Polonais et on a chanté toute une soirée avec un public qui ne connaissait pas du tout notre musique. C'est vrai que je ne peux pas du tout envisager de travailler artistiquement avec des gens avec lesquels je ne m'entends pas bien, c'est hyper précieux pour moi.
Manuel Langevin : Mais il y a aussi un truc d'engagement, je pense que c'est aussi la base de notre truc. On a commencé à faire des concerts dans des appartements pour une famille africaine, une famille turque, une famille grande banlieue à Fleury, on avait ce truc avec la prison, avec tout le microcosme qu'il y avait autour de la prison et aussi cette grande banlieue qui foisonne d'identités, de cultures, etc.
On s'est retrouvé très vite à faire des projets, du type on a un pote qui passe en psychiatrie à Maison Blanche et qui me dit : "Ah j'ai 400 balles, est-ce que vous venez ?". Et Arnaud à chaque fois disait : "oui, banco, on y va, on s'en fout" et on a fait des concerts complètement surréalistes. On s'est retrouvé dans des super beaux festivals avec place du village remplie à jouer Les Pieds Devant et aussi à jouer ce répertoire à Maison Blanche dans un centre fermé...
Arnaud Gransac : ... dans un grand centre, à Chelles.
Manuel Langevin : En fait on n'a pas de limites, cela nous rassemble aussi quelque part.
Le projet consiste à reprendre des titres hyper connus, un répertoire qu'on va qualifier de pop culture, et à les arranger de telle façon qu'ils sont parfois méconnaissables. Quelles sont vos influences musicales ? Vont-elles enrichir ce projet ? Ou alors est-ce que vous faites abstraction et cela ne vous sert au final que pour les arrangements ? Comment choisissez-vous les morceaux ?
Arnaud Gransac : Manu chante, moi je ne chante pas, donc Manu va choisir, sélectionner des morceaux qui lui paraissent intéressants pour le projet. Je pense qu'on a tous les deux l'envie de faire des choses très très ouvertes, il y a quand même un propos musical avant tout qui nous intéresse, même s'il y a forcément des influences, de l'humour qui nous habite tous les deux.
Manuel Langevin : A un moment donné, on est parti d'un certain nombre de trucs que l'on savait faire ensemble dans leur plus simple appareil. On a eu des occasions de faire des petits événementiels à droite à gauche, de jouer à un mariage, on avait une liste de chansons dans laquelle on tapait et c'était super. C'était une base d'un certain répertoire que j'avais dans un coin et à force de faire ça, on s'est dit, pas sérieusement, que l'on allait essayer de chercher des "bouses", même si ce n'est pas vraiment le terme exact.
En fait, la production musicale dans les années 80 n'a pas laissé sa chance à un certain nombre de mélodies qui sont magnifiques, de chansons qui sont superbes puisqu'elles étaient produites avec ces moyens-là hyper verbeux et hyper informatico-ferroviaires, on a perdu le truc d'avoir un piano et une contrebasse, le truc simple pour faire vivre la chanson. "T'en va pas" typiquement, c'est ça : quand on l'écoute, à un moment il y a un faux hautbois au milieu, c'est dur, c'est dans notre inconscient...
Arnaud Gransac : Alors que c'est très beau, ce passage-là est beau dans la chanson mais c'est traité avec des sons qui aujourd'hui nous font rire, on se demande ce qu'il s'est passé dans la tête des producteurs pour se dire : "tiens, on va prendre ce son-là"...
Manuel Langevin : Mais on s'est mis des limites. D'ailleurs, Fruits de la Passion vient du fait qu'on s'est dit on pourra jamais jouer un morceau de Francky Vincent. On peut déconner mais il y a des limites, quoi... (rires)
Je comprends que les morceaux choisis ne l'ont pas forcément été par appétence au départ.
Manuel Langevin : Ce sont des morceaux qui n'étaient pas trop compliqués à jouer pour moi. A un moment donné, quand j'avais 15 piges, je grattais un peu mes trucs... Et puis aussi c'était l'idée de traduire ces morceaux, parfois dans leur plus simple appareil, en traduction littérale. Cela nous faisait marrer que les gens comprennent par exemple "Roxanne" : on a tous dansé là-dessus dans des fêtes sans jamais rien comprendre au fait que cela parlait de prostitution limite d'ados - il y a aujourd'hui un problème récurrent où les gamines se prostituent pour payer leurs études.
C'est tout ça qu'il y avait dans ce répertoire anglo-saxon que l'on ne comprend pas forcément. Une chanson magnifique de Joy Division que l'on a complètement remodelée. J'ai fait une traduction avec un parti pris poétique, on est vraiment aux antipodes de ce qu'était la chanson à la base. On s'est retrouvés aussi sur ces questions et de traduction et de prendre un truc qui nous semblait pas super chatoyant au départ, toujours prendre le parti pris inverse. Prendre "The Eye of the Tiger" est quand même un morceau un peu belliqueux et un peu sport et en faire une espèce de petite bluette...
Arnaud Gransac : ...une petite valse.
Y a-t-il des morceaux que l'un a choisi et dont l'autre ne voulait absolument pas entendre parler ? Des conflits ?
Manuel Langevin : Cela ne s'est pas vraiment passé par des conflits mais il y a des trucs qu'on aimait bien l'un et l'autre et qu'on n'a jamais réussi à faire fonctionner. Il n'y en a pas eu beaucoup... A l'inverse, il y a des trucs qu'on déteste vraiment tous les deux, genre "T'as le look, coco".
Arnaud Gransac : Oui, par exemple.
Manuel Langevin : On a tourné ça, on a pris un petit truc de Bach derrière et on l'a complètement défoncé.
Mais pourquoi vous le faites si, au départ, vous n'aimez pas tous les deux ? Qu'est-ce qui se passe pour se dire on va aller au-delà ?
Manuel Langevin : Là, c'est de la drôlerie, du burlesque.
Arnaud Gransac : C'est un peu pour le challenge. Surtout on l'a éprouvé sur scène et on a vu que c'était quelque chose qui fonctionnait hyper bien. On n'est pas là pour se moquer non plus, ce n'est pas du tout ça.
Manuel Langevin : On ne rit pas d'eux, on rit avec. Même si les mecs sont absents, pour le coup... (rires)
Ce n'est pas de la parodie, non plus. Ce sont des mélodies qui sont quand même léchées...
Manuel Langevin : Non, ça tient la route. On parle du texte qui est le plus "has been" de l'histoire de l'humanité. Chaque phrase contient un truc qui n'existe plus : le type, quand il a écrit sa chanson, il y avait des francs, du PCV...
Arnaud Gransac : ...du BCBG, je crois, non ?
Manuel Langevin : Du BCBG, exactement.
Arnaud Gransac : Voilà. Donc ça n'existe plus, tout ça. Et puis ça fait marrer les gens...
Vous parlez d'humour, on apporte un peu de fraîcheur...
Manuel Langevin : On est en débat constant, on est hyper ouvert. C'est un peu comme les Monty Python qui validaient leurs trucs en groupe : si tout le monde se marre, on garde. D'ailleurs, c'est un peu dur parce qu'on est passé par plusieurs strates d'arrangements à chaque fois pour en arriver à certains trucs. En général, c'est quand même plutôt joyeux. On ne s'est jamais mis un pain en se disant : "putain, qu'est-ce que tu me saoules avec ton la bémol"... (rires)
Arnaud Gransac : Pour revenir sur l'histoire d'influence, je crois que Manu a une culture rock pop beaucoup plus développée que la mienne. J'ai fait de la musique classique : quand on reprend "T'as le look, coco" et que je joue un prélude de Bach derrière, il y a aussi ce truc-là d'échange, de partage, de background musical qui se complète.
Je voulais vous demander qui fait quoi exactement ?
Manuel Langevin : Arnaud ne touche pas trop au texte. J'ai ce truc avec l'écriture, j'aime écrire ou réécrire des chansons ou traduire. Et ça s'accentue par la force des choses avec tous les travaux que je mène avec les compagnies de théâtre avec lesquelles je bosse. Il y a un vrai lien de cette prosodie-là, ce chant de la parole, comment on le fait entrer dans la musique et inversement. On a aussi des trucs de slams, à l'arrière du fond, c'est un slam. Tout ça est très large.
Effectivement, c'est plutôt moi qui m'occupe du texte, des textes. Et après les arrangements on les fait vraiment tous les deux ensemble, comme des artisans. On ne s'est jamais mis à la table avec une feuille en disant tu fais ça d'un côté. On essaie, c'est vraiment de l'artisanat.
C'est de l'artisanat d'écriture quand même ou c'est de l'artisanat d'impro ?
Arnaud Gransac : C'est plutôt de l'impro quand même. Après on fixe les choses...
Manuel Langevin : Parfois, sur les essais, on se dit : "ça fait quoi si on fait une bossa nova un peu rapide avec "Au suivant' de Brel ?" Et d'un coup, on a autre chose, on regarde la métrique, on s'arrête. Il y a ce truc aussi d'improvisation mais on a besoin d'éprouver les choses. On n'arrive pas avec une partoche toute faite en disant : "tiens, j'ai préparé ça, on va jouer ça".
Arnaud Gransac : A chaque fois qu'on fait une version, je ne joue jamais la même chose. Bien sûr, il y a les mêmes accords mais l'arrangement est tout le temps différent.
Manuel Langevin : Ça serait pas mal qu'on fixe un peu tes trucs d'ailleurs, puisqu'on en parle... (rires)
On a l'impression que ce duo est presque un projet solo avec deux personnes. C'est un choix économique, technique, pratique d'être en duo ? Est-ce que vous auriez envie d'avoir quelqu'un d'autre suffisamment de confiance qui puisse jouer avec vous si vous en aviez la possibilité ou l'envie est vraiment de jouer ensemble et d'avoir cette osmose que vous racontez ?
Arnaud Gransac : Je pense que tout est ouvert. On a essayé, on a joué, on a fait un trio avec un pote. Il y a un petit peu d'économique aussi là-dedans. Le plaisir qu'on a, c'est de jouer. J'aime bien jouer dans tous les trucs les plus farfelus. Je me sentirais peut-être plus à l'aise à jouer au festival de la Saucisse plutôt que dans un théâtre parisien. Enfin, j'exagère un peu, mais...
Ils disent tout ça jusqu'à avoir joué dans un théâtre parisien. (rires)
Manuel Langevin : On y a joué en plus, mais c'est n'importe quoi ce que tu dis là (rires).
Arnaud Gransac : Je ne sais pas... Qu'est-ce que tu dirais là-dessus ? (rires)
Manuel Langevin : Je sais pourquoi on fait ça. Dans certains répertoires, ça serait beaucoup plus facile pour nous deux d'avoir quelqu'un qui soit un vrai directeur rythmique et qu'on puisse se reposer dessus. Alors que là, on est tenus parfois sur les arpèges à la main gauche, ou moi sur une battue, un truc un peu plus rythmique. Avoir quelqu'un qui est à côté et qui nous met d'accord...
En même temps, on a la possibilité d'avoir un espèce de truc un peu classique. Donc ça veut dire que c'est mouvant, ça veut dire qu'il y a énormément de nuances. Alors ça bouge un peu rythmiquement, il y a un truc un peu cabaret qu'on a toujours trimballé. Et en même temps, on travaille le jazz l'un et l'autre et dans nos pratiques, on essaie d'être les plus implacables avec le métronome.
Mais quand on se retrouve, il y a un truc vivant, une espèce de cadre mou. On est sur la chanson, sur des disciplines où c'est vachement ouvert, Les Pieds Devant était comme ça. Il y avait un truc très très ouvert, donc il y a de la place pour la nuance. Et il y a un truc un peu classique comme ça, où on s'attend, on ne veut pas faire de musique classique, mais ça obéit à ça. Comme si effectivement, on était un ensemble.
Arnaud Gransac : Oui, un peu musique de chambre...
On a fait une session acoustique. Sur scène, c'est pareil, il n'y a pas de clic, il n'y a pas de bandes ? C'est comme ça, à l'os ?
Arnaud Gransac : Oui, oui, tout à fait.
Manuel Langevin : Ça, c'est le côté jazz du truc, on le sait que c'est dur.
Arnaud Gransac : Oui, ce n'est pas facile.
Manuel Langevin : Mais même les papas à l'international qui font ça, en jazz, en duo, ils savent très bien que...
Arnaud Gransac : Ça fait partie des choses les plus exigeantes, oui.
Fruits de la Passion, c'est un groupe de scène. Il y a des choses de prévu ? On peut écouter ça quelque part : sur un Bandcamp ? Une sortie de disque ? Quelles sont vos ambitions ?
Manuel Langevin : Et bien non, on n'a pas fait ça. D'une part, on s'est dit que vu qu'on n'avait pas de compo, il allait falloir que l'on paie les droits sans nom. Pour l'instant, on n'a pas d'éditeur, on n'a personne qui nous suit. A la base, c'est aussi un projet de potes, cela a toujours vécu comme ça, et cette vie est super. Et là, odepuis un an ou deux, on a chacun énormément d'activités à côté de ce projet. On s'est un peu éloignés géographiquement aussi, il y avait un moment où c'était plus facile, on était dans un espace où c'était simple de prendre le bus et d'aller. Là, on est vachement plus loin l'un de l'autre.
Concrètement, pour répondre à ta question, on n'a pas d'actualité. C'est peut-être ça qui nous pousse à ne pas nous projeter non plus hyper loin dans les mois qui viennent. On attend de voir, en fait, si on reste en vie. Voilà, c'est ça. (rires)
Arnaud Gransac : Le propos est de développer, peut-être de professionnaliser le projet, bien sûr.
Manuel Langevin : On a eu l'occasion de faire plein de choses et on va encore avoir l'occasion de faire plein de choses. On a aussi un répertoire qui s'approche de ça. Il y a quelques morceaux qui font partie de ces deux répertoires. On a pas mal tourné un truc pour les enfants : on va dans les écoles le matin et on envoie du bonheur. Là, c'est du bonheur, du grand bonheur...
C'est chouette, ça.
Manuel Langevin : Il y en a encore quelques-uns. Mais je suis en train de monter un spectacle dans lequel Arnaud n'y est pas. J'ai des créations de théâtre et lui donne des cours de musique. Là, on est vraiment dans une phase un peu compliquée pour ce projet. Mais on n'a jamais lâché depuis 10-15 ans. Donc, c'est sûr qu'à un moment donné, on va relancer la machine.
Donc, si on veut le voir, de toute façon, le plus sûr, c'est une scène. Si on veut vraiment être sûr, c'est de programmer sa scène chez soi ou dans un endroit. Pourquoi pas ? C'est un concept qui marche... Est-ce qu'il y a une question que toi, Manu, tu as toujours voulu poser à Arnaud, que tu n'as jamais osé poser et que tu voudrais lui poser, à laquelle il pourrait répondre évidemment devant le micro ?
Manuel Langevin : Elle est très bonne cette question... Euh non je lui ai posé à peu près toutes les questions parce que je te dis, on est quand même assez ouverts... Ah la la...
Arnaud Gransac : Ah ce n'est pas facile, hein...
Manuel Langevin : Si, j'ai une question à lui poser. En fait, je me la pose aussi à moi-même. Est-ce que tu n'aurais pas envie à un moment donné de monter un répertoire de pièces classiques que tu joues pour travailler et les jouer toi ? Genre Arnaud en haut de l'affiche, solo, bim !
Arnaud Gransac : Et je dois répondre à la question ?
S'il te plaît. (rires)
Arnaud Gransac : Ben si bien sûr... Ah c'est compliqué parce que c'est trouver du sens... Cela fait 30 ans que je me dis ça donc je n'investis pas trop non plus de pistes pour répondre à cette question-là. C'est vrai que je me dis à quoi ça sert ? Il y a des gens qui le font très bien, moi j'ai besoin de sens, alors c'est peut-être un peu une posture ou un petit pas de côté que je fais mais je trouve ça aussi très compliqué. J'ai collaboré avec beaucoup, enfin sur plusieurs projets et...
Manuel Langevin : Bézu, Jeanne Mas... C'est vrai, hein ? J'aurais dû te poser une question sur Bézu, tiens... (rires)
Arnaud Gransac : Aujourd'hui, je trouve que faire un projet artistique professionnel demande une telle énergie. Peut-être que je suis feignant, peut-être que cela me fait un peu peur, sûrement un petit peu la trouille de monter des équipes, d'appeler des producteurs ou même sans aller chez les producteurs, mais d'être sur les réseaux, des trucs comme ça.
Ce n'est pas monter ton répertoire qui te fait le plus peur, c'est de le montrer ?
Arnaud Gransac : Ouais c'est peut-être le montrer, c'est plus ça. J'enseigne, j'ai tout le temps enseigné. Je sais que j'aime ça et j'ai toujours dit que c'était un piège. Peut-être que je suis un peu pris au piège aussi par ça.
Je trouve que Manu est courageux d'avoir renoncé à l'enseignement "délibérément" si j'ose dire parce qu'il s'y sentait très bien et qu'il était très bon dedans. Il s'est dit : "je vais développer mon projet au risque d'être précaire". Parce que financièrement, c'est quand même un peu une inconnue, c'est hyper angoissant. Etre prof, tes revenus sont assurés tout le temps, ce ne sont pas de gros revenus. Se lancer dans quelque chose sans trop savoir, parce que Manu a lâché un poste et s'est dit : "j'y vais, j'essaie". C'est aller mettre les mains dans le cambouis. Je n'ai pas ce courage-là peut-être...
Manuel Langevin : C'est bien ce que je pensais. (rires)
Est-ce qu'Arnaud tu as une question faussement gentille ou faussement vache à poser à Manu ?
Arnaud Gransac : Manu, tu sais faire plein de trucs et je t'ai toujours vu vouloir prendre en charge l'intégralité des productions que tu faisais. C'est-à-dire que je t'ai déjà vu faire les lumières d'un spectacle, faire l'enregistrement, faire la batterie, la basse, la contrebasse, la guitare... Manu est contrebassiste mais son instrument premier, c'est la guitare. Qu'est-ce qui fait que tu as toujours voulu tout contrôler, tous les rouages, tous les maillons de la chaîne, de tes spectacles ? Pourquoi ?
Manuel Langevin : Je pense que cela m'est passé un peu. Je pense que j'ai dû obéir à à une vieille maxime que j'entendais chez moi souvent où mon père disait : "on n'est jamais mieux servi que par moi-même". (rires)
J'ai dû fonder une partie de l'exercice de mes fonctions sur ce principe qui s'avérait complètement foireux. Je pense que j'avais un truc boulimique aussi, j'avais tellement envie d'apprendre, tellement envie de regarder, de savoir comment on branche les lumières, de savoir pourquoi, comment on pointe le truc puis d'aller à la table de son et de me dire : "attends, mais ça, c'est à ma portée, c'est sûr". Tout en bidouillant, en ne faisant aucune formation, que l'école de la vie.
Et je crois qu'à un moment donné, je me suis embarqué dans un certain nombre de trucs. Mais finalement, aujourd'hui, je me retrouve aussi dans une position parfois un peu de metteur en scène. Je bosse avec des vieux qui n'ont plus rien à prouver à personne et qui font leurs trucs tranquilles. J'aime bien entrer aussi dans ces considérations-là.
Je sais que je peux le faire parce que j'ai un peu d'expérience dans chacun de ces domaines, par contre maintenant, cela ne me viendrait plus à l'idée de faire autant de choses. Là, j'ai très envie depuis quelques années de collaborer et surtout avec des vieux qui n'ont plus rien à prouver à personne. C'est génial de dire : "tiens, la lumière elle est là, le son..." mais d'avoir des billes aussi pour en discuter et pour avancer là-dedans.
C'est ce côté boulimie qui t'a emmené vers le théâtre plutôt que l'enseignement ?
Manuel Langevin : Non, c'était plus une histoire de rencontre à un moment donné. Ce que je disais tout à l'heure, on avait une belle production avec un spectacle de Rainer Sievert qui s'appelle La formule du bonheur, qui raconte une spoliation d'entreprise métallurgique par un fond d'investissement américain. C'est une espèce de pièce théâtrale non identifiée entre le théâtre documentaire qui est une longue tradition allemande, et une espèce d'opéra un peu rock'n'roll comme ça.
Arnaud Gransac : Il y a un côté conférence un peu aussi...
Manuel Langevin : Plein de gens ont vu cette pièce et m'ont dit : "Ah mais c'est cool, tu ne veux pas bosser avec nous ?" Et je suis rentré mcomplètement malgré moi dans un réseau. J'avais mes projets à côté, des trucs de chansons où je galérais un peu. Là, d'un coup, je me suis retrouvé à justement, comme dit Arnaud, ne pas devoir me dire : "tiens, il faut que je fasse tout ça". J'arrivais dans des projets tout ficelés, je suis monté en National 1 du coup...
J'ai une ultime question : si vous deviez donner l'un à l'autre un disque de votre discothèque (pas de votre création personnelle), vous prenez le disque et vous ne l'avez plus, lequel vous choisiriez par rapport à celui qui vous représente le plus aux yeux de l'autre ?
Manuel Langevin : Intéressant...
Arnaud Gransac : Attends, que je comprenne bien la question...
Manuel Langevin : File-moi un disque à toi.
Tu le donnes à Manu et quand il va l'écouter, il va dire : "ça c'est sûr, c'est Arnaud".
Arnaud Gransac : C'est assez simple. Je pense que c'est un disque de Keith Jarrett.
Tu penses à un disque précis ?
Arnaud Gransac : Je lui donnerai un disque de chevet que j'écoute très très souvent qui s'appelle "The Survivors' Suite".
Manuel Langevin : Heureusement que c'est écrit. Moi ça serait "L'anglais en 10 leçons" avec la petite méthode... (rires)
Elle est super cette question et là je réfléchis. Peut-être un disque de Patrick Watson, très belle mélodie, super bien arrangé, à la fois très touffu et en même temps hyper minimaliste.
Un disque précis aussi ?
Manuel Langevin : Oui, comment ça s'appelle ? Merde, je ne sais plus le titre en fait. Je crois que ça s'appelle "Adventures in Your Own Backyard".
Le mot de la fin ?
Manuel Langevin : Je suis hyper touché par votre venue.
Arnaud Gransac : Ah oui, je suis très admiratif de votre engagement pour la musique.
Merci. Il n'y a pas un endroit où l'on peut écouter vos autres morceaux ?
Manuel Langevin : On avait fait une espèce de Soundcloud mais on n'a pas creusé tellement. Il y en a un ou deux en plus.
Vous m'avez hypé avec "T'as le look, coco" et Joy Division. J'ai envie d'écouter ça maintenant.
Manuel Langevin : Effectivement, il faudrait qu'on en enregistre encore. Ça fait partie des trucs qu'on s'était dit qu'on allait faire et on a été vachement pris par le temps. A un moment donné, les semaines passent...
Alors au boulot !
Manuel Langevin : Exact c'est vrai, merci.
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