En 2020, Marie Moutier-Bitan nous proposait un excellent ouvrage consacré à l’exterminations des juifs en URSS entre 1941 et 1944. Cet ouvrage, représentant la première grande synthèse sur la Shoah par balles, était pour elle l’aboutissement de nombreuses années de recherche sur le sujet.

Le 22 juin 1941, l’opération Barbarossa débute, les troupes nazies pénétrant en Union soviétique. Immédiatement, les Juifs furent pris pour cibles lors d’exécutions qui se déroulèrent des Pays baltes à la mer Noire. En Galicie orientale, dans l’ouest de l’Ukraine, du jour au lendemain, des soldats de la Wehrmacht, des hommes des Einsatzgruppen et d’autres formations de police massacrèrent des civils juifs. Du jour au lendemain, des paysans locaux déferlèrent sur les villes, menant la chasse aux Juifs. Du jour au lendemain, des voisins assassinèrent leurs voisins.

L’ouvrage de Marie Moutier-Bitan nous montre les mécanismes mis en place pour ce génocide. Des mécanises qui reposèrent sur deux éléments. D’abord un cadre légal posé par les Allemands, véritable permis de tuer relayé sur le terrain par des figures d’autorité locales. Ensuite un puissant ressentiment de la population non juive à l’égard de ses voisins. Envahisseurs et locaux scellèrent ainsi un terrible pacte antisémite. Une spirale meurtrière se met alors en place avec une violence inouïe, construite par les Allemands qui transformèrent de simples voisins en meurtriers, faisant de nombreux villages de véritables lieux de massacres.

L’ouvrage est construit autour de trois parties : l’agonie d’un monde, la partition nazie et les mains sales, l’ensemble nous permettant de bien saisir les ressorts humains de la violence pour que l’écho de ses victimes ne se perdent pas. Le pari est totalement réussi avec cet ouvrage.

L’ouvrage permet d’explorer le basculement d’une région dans la première phase de la Shoah en Ukraine. Il propose aussi un état des lieux de la Galicie à la veille de l’invasion allemande pour bien comprendre les tensions locales existantes à l’époque auxquelles vinrent se superposer la politique d’extermination nazie. Marie Moutier-Bitan étudie à hauteur d’homme les nombreux bouleversements brutaux et meurtriers au sein de la population locale.

Une fois encore, l’historienne a effectué un gros travail de recherches, utilisant de nombreuses archives très disparates, beaucoup de sources de l’époque ont été détruites pour ne pas laisser de traces. A cela s’ajoutent des rapports des Einsatzgruppen qui arrangeaient les faits pour pour répondre à un discours idéologique mais aussi des sources soviétiques inégales.

C’est pour cela qu’elle s’appuie sur des récits de survivants, des dossiers d’instruction et de témoignages, la difficulté étant qu’ils sont dans de nombreuses langues différentes. A cela s’ajoutent des enquêtes de terrain effectuées dans son précédent travail de recherche.