18 juin 1903 – 18 juin 2003. Cent ans séparent ces deux dates. Cent ans, c’est l’âge qu’aurait eu Raymond Radiguet si « les soldats de Dieu n’étaient venus le fusiller » comme il le dit lui-même dans un dernier souffle, avant de s’éteindre dans sa vingtième année, emporté par une fièvre typhoïde.
Raymond Radiguet est pour beaucoup l’auteur du seul « Diable au corps », qui à sa sortie fit scandale à divers égards. Son sujet, tout d’abord, choque : le récit autobiographique de la liaison d’un adolescent de quatorze ans avec une femme mariée de dix ans son aînée, dont le mari est au front (l’action se situe au cours de la première guerre mondiale), jette le discrédit sur la vertu des épouses de soldats et n’est pas bien accueilli par la bourgeoisie bien pensante comme l’on peut aisément l’imaginer.
Ensuite, l’extrême jeunesse de l’auteur dérange car elle tranche avec la lucidité et la maturité dont il fait preuve tout au long de son récit. En outre, la modernité de son écriture étonne car Raymond Radiguet est en effet le premier à s’attacher à une étude psychologique de ses personnages. Le mode de lancement du roman enfin, pour lequel on utilise pour la première fois la publicité, média jusqu’alors réservé aux seuls produits alimentaires et autres savons, déstabilise (Bernard Grasset, l’éditeur heureux du jeune prodige va même jusqu’à mettre en scène la signature du contrat sous la forme d’un spot publicitaire diffusé au cinéma, dans les actualités ; révolutionnaire pour l’époque !).
Mais Raymond Radiguet n’est pas l’auteur d’un seul livre. Au cours de sa brève existence, il aura le temps malgré tout d’écrire un autre roman intitulé « Le Bal du Comte d’Orgel » dont la publication sera posthume, et qui s’inspire largement de son expérience du Paris des Années Folles et plus précisément de ses virées nocturnes au cours desquelles il côtoie Paul Morand, Darius Milhaud, Jacques Kessel, Man Ray, Coco Chanel, Picasso et bien d’autres mais c’est aussi un auteur prolixe qui s’essaie à divers genres littéraires. Raymond Radiguet va d’ailleurs séduire ses aînés pour la première fois avec des poèmes (il va éditer plusieurs recueils salués par la critique), rédiger de nombreux articles dans le presse satirique ou littéraire (il fait ses premiers pas dans le journalisme en 1917, soit à 14 ans) ; écrire des nouvelles, contes, essais, pièces de théâtre…
Raymond Radiguet fut donc un acteur essentiel de la littérature française dont la sobriété et le classicisme de l’écriture tranche avec les extravagances dadaïstes et surréalistes de l’époque mais tranche également avec la vie dissolue qu’il va mener et les excès en tous genres (drogue, alcool, multiples conquêtes…) car l’auteur est également un acteur essentiel de la vie parisienne du temps du Bœuf sur le Toit , lieu de ralliement des années folles entre le « presque feu » Montmartre et Montparnasse en devenir .
C’est ainsi pour d’aucun, « le paradoxe par excellence ». Un adolescent « pratiquement né adulte, avec des sentiments et des réactions d’adulte » dont le talent et la personnalité attachante, empreinte de gravité, lui valent la considération et l’amitié de nombreux artistes. Jean Cocteau a 30 ans lorsqu’il rencontre le jeune Raymond et va vite le considérer comme son maître et non comme son élève comme on pourrait être enclin à le penser…
Raymond Radiguet fascina donc durant sa courte vie, puis après sa mort eu égard aux nombreux ouvrages, thèses et autres études qui lui ont été consacrés. Il fascine toujours. J’en veux pour preuve les biographies de Marie-Christine Movillat, « Raymond Radiguet ou la jeunesse contredite », édition Bibliophane sortie en 2002 et celle de Monique Nemer, intitulée sobrement « Raymond Radiguet » chez Fayard qui vient de paraître et que je vous invite à parcourir pour partir à la découverte de ce personnage énigmatique.
A moins que vous ne préféreriez vous tourner vers la réédition de l’excellent ouvrage de François Bott, « Raymond Radiguet, l’enfant à la canne » qui est une très bonne mise en bouche et qui évite les écueils des deux premières biographies précitées qui souffrent respectivement, à mon goût, d’un manque d’objectivité pour la première et d’un excès de détails et de digressions pour la seconde.
A noter également qu’une exposition consacrée à Raymond Radiguet se tient actuellement au Bœuf sur le toit (34 rue du Colisée à Paris) et que diverses manifestations sont organisées toute au long de cette année à Saint-Maur-des-Fossés, ville natale de l’auteur et importante source d’inspiration avec la Marne (www.saint-maur.com).