Réalisé par Robert Bresson. France. Drame. 1h23 (Sortie 21 septembre 1945 - Sortie version restaurée 1er août 2018*). Avec Paul Bernard, Maria Casarès, Elina Labourdette, Lucienne Bogaert, Jean Marchat, Yvette Etievant et Bernard La Jarrige.
"On dirait que vous n’avez jamais vu une femme se venger" fait remarquer Mme de la Pommeraye à celui qui fut son amant, et qu’elle aime encore.
La réplique la plus célèbre du film de Robert Bresson, élégante et cruelle, à l’image de Maria Casarès qui la prononce. Il s’agit bien d’une histoire de vengeance, adaptée d’un long passage de "Jacques le Fataliste" et son maître et fidèle à ce texte que Diderot s’était amusé à interrompre par des digressions et autres considérations malicieuses.
"Les Dames du Bois de Boulogne"* commence par une séparation. Mme de la Pommeraye, ayant remarqué que la flamme de son amant vacille, décide de le mettre à l’épreuve.
Elle invente l’extinction de sa propre passion, l’ennui du quotidien; il mord à l’hameçon, avoue à son tour son désamour et sa lassitude, avec un soulagement insolent. Il lui dit sa gratitude, la cajole, lui assure son amitié éternelle.
C’est un début d’une grande cruauté, où l’insouciance de l’homme est un poignard dans le cœur de la femme qui l’aime. La voix voilée de Maria Casarès, si calme en apparence, contraste avec l’émotion perceptible dans son regard, et que l’autre ne remarque pas.
Voilà qui demande vengeance. Mme de la Pommeraye échafaude un plan complexe : elle retrouve une mère et une fille de sa connaissance. Ruinée, la famille n’a d‘autre choix pour survivre que d‘exploiter le talent de danseuse d’Agnès, et son succès auprès des hommes.
Mme de la Pommeraye promet de leur venir en aide, à condition qu’elles changent radicalement de vie et se retirent quasiment du monde. D’une "grue", elle fait une sainte, qu’elle présente incidemment à son ancien amant qui en devient très vite désespérément amoureux.
Dans un noir et blanc profond, Robert Bresson joue sur les contrastes, entre cette reine tragique incarnée par Maria Casarès, toute de noire vêtue, et la putain sacrifiée, fausse oie blanche et vrai cœur pur. Une histoire de vengeance qui est un arrachement, où chaque manœuvre réussie est aussi un coup reçu : entendre dire, de la bouche de celui qu’on aime, son amour désespéré pour une autre, assister à son mariage en espérant sa chute…
Le film a toutefois considérablement développé le personnage d’Agnès. En effet, le récit de Diderot suivait plutôt les actions de la femme trahie ; les protagonistes du récit remarquaient d’ailleurs que les motivations de la jeune fille restaient troubles. Robert Bresson fait de cette dernière un personnage perdu, avide de liberté mais dégoûté par l’abaissement de sa condition, une jeune fille amoureuse qui ne peut s’empêcher d’espérer.
Chapeau haut-de-forme et sourire ravageur, Elina Labourdette restera l’un de ces personnages qui ont profondément marqué l’imaginaire. On la retrouve ainsi chez Jacques Demy, grand admirateur de Bresson. Dans "Lol"a, elle joue une veuve, élevant seule sa fille, un reflet du duo formé chez Bresson par Lucienne Bogaert et Elina Labourdette.
Sur cette trame pleine de passion et de fureur, Robert Bresson compose une œuvre d’une rare finesse, à la sobriété exemplaire. Le dialogue de Jean Cocteau, proche de celui de Diderot, qui sait dire l’amour et la douleur sans plonger dans le pathos, épouse parfaitement cette forme.
Robert Bresson filme toutes ses contrariétés du cœur sans jamais rechercher les effets faciles ; la prise de distance avec ses "modèles" comme il baptisait lui-même ses acteurs, vient accroitre l’émotion.
Le film a aussi, bien sûr, ses moments de bravoure, comme la révélation de la vengeance. Paul Bernard, au volant de sa voiture, tente de fuir ; par la fenêtre avant, Maria Casarès lui révèle tout. Ses manœuvres pour se dégager ne font que ramener à lui, à trois reprises, ce visage moqueur. Une scène qui est comme un assassinat.
Et puis, il y a cette fin, sublime, toute en blancheur et plissés, une résurrection qui redonne toute sa force au mot : miracle.
