Bruno Lescot est un sacré numéro, c’est le moins que l’on puisse dire à la lecture du dernier livre d’Yves Pagès, Encore heureux, publié aux éditions de l’Olivier. Homme en cavale, homme de délits aussi, qu’il collectionne depuis sa jeunesse, homme accusé d’un faux braquage qui a coûté la vie à un policier. Coupable désigné pour les juges, il a préféré se faire la malle laissant le procès se déroulait sans lui, à coup d’expertises et de témoignages de ceux qui l’ont côtoyé.

C’est le portrait de ce personnage hors du commun que nous livre Yves Pagès dans ce livre au style et à la construction si particuliers. La première partie qui enchaîne de nombreux paragraphes débutant par "attendu que" (que l’on a l’habitude de trouver dans des textes de droit) nous détaille le parcours de Bruno Lescot depuis sa tendre enfance autour de ses nombreux méfaits.

La suite du livre est composée de coupures de presse, de comptes-rendus juridiques, de rapports et d’expertises psychiatriques, de nombreuses auditions de témoins et enfin d’une superbe contre enquête qui clôt le livre. Tout cela est entrecoupé d’un récit classique sur Bruno Lescot. Le but d’Yves Pagès est bien de mêler les différents registres, sans jamais nous perdre, pour nous livrer un livre qui pourrait presque s’apparenter à un polar tant la fin y est surprenante.

Le portrait qui se dessine est celui d’un homme de sac et de corde, aux fidélités multiples, prêt à toutes les aventures, pourvu qu’elles défient l’ordre et ses gardiens dont il aime se moquer. Bruno Lescot est un anarchiste féru d’humour (comme le livre qui contient de nombreux passages jubilatoires), capable de braquer une banque avec un masque de la panthère rose et un pistolet à eau rempli de jus de tomate. C’est un rebelle attachant qui n’aime pas la société dans laquelle il vit, un homme ironiste, insaisissable doté d’un sens de l’humour qui le sauvera.

A travers ce personnage de Bruno Lescot, c’est le portrait d’une génération et d’une époque, celle de mai 68, que nous propose Yves Pagès. Yves Pagès est un formidable conteur, il nous le prouve avec Encore heureux en faisant le choix de la narration polyphonique qui permet de mettre en valeur la complexité du personnage de Bruno Lescot mais aussi les nombreux paradoxes de l’époque dans laquelle il a sévi.

Malin donc, original surtout et terriblement addictif, voilà les trois mots qui résument le mieux ce livre.