Réalisé par Luis Bunuel. Frane/Italie. Drame. 1h40 (Sortie version restaurée le 2 août 2017- 1ère sortie mai 1967). Avec Catherine Deneuve, Jean Sorel, Michel Piccoli, Geneviève Page, Pierre Clémenti, Françoise Fabian et Macha Méril.

"Belle de jour", dont on célèbre cette année les cinquante ans, est l’un de ces films dont quelques plans sont restés si iconiques qu’on les connaît sans même avoir vu le film.

Catherine Deneuve, vestale en longue robe blanche, souillée par la boue nauséabonde que lui jettent deux hommes. Catherine Deneuve, le chignon impeccable, dans une petite robe noire en col de soie signée Yves Saint-Laurent. Catherine Deneuve, l’œil collé contre un judas, qui espionne les ébats d’une prostituée et de son client. Catherine Deneuve, les cheveux retombant en lourdes vagues dorées, se pâmant après l’amour dans le lit défait d’une chambre de bordel.

Bref, une Catherine Deneuve double. L’actrice, encore illuminée du succès des "Parapluies de Cherbourg" où elle jouait la jeune ingénue, utilise son image de femme bien sous tous rapports, bourgeoise du bout de ses ongles impeccablement peints à la pointe de ses chaussures vernies. Pour la dézinguer complètement, à coup de poignées de boue, de fantasmes de viol ou de passe avec une petite frappe à la gueule d’ange déchu.

Elle incarne Séverine, mariée depuis un an avec un docteur, Pierre (Jean Sorel), qui lui assure une existence confortable dans un intérieur bourgeois. Le couple s’aime, mais la jeune femme reste insatisfaite dans sa vie sexuelle, malgré les efforts patients de son mari pour lui plaire. Car ce n’est pas de la douceur de Pierre que rêve la jeune femme, mais de violences, d’humiliation…

Jusqu’à ce que Séverine franchisse le pas et la porte d’un bordel, tenu par une Madame Anaïs, prétendument vendeuse de modes. Là, elle se fait appeler Belle de jour, et se prostitue de 14h à 17h, avant de retrouver son mari le soir à la maison.

Luis Buñuel semble s’amuser du spectateur voyeur qui suit les aventures de Séverine. Le film n’est en rien un empilement de scènes érotiques ; au contraire, le maître espagnol manie à la perfection l’art de la suggestion, laissant l’imaginaire du spectateur faire le reste. La chambre de Belle de jour nous est souvent close, et ses pratiques demeurent inconnues.

Ainsi, cette scène fameuse où un client japonais se présente dans la "maison de modes" avec un mystérieux coffret. Quand il l’ouvre en sort un bourdonnement ; jamais le spectateur ne saura ce que contient cette boîte de Pandore, détentrice des fantasmes les plus secrets de celui qui regarde le film.

"Belle de jour, c’est bien sûr la France gaulliste qui s’ennuie dans sa perfection bien-pensante. Dans cet engrenage soigneusement huilée, Luis Buñuel vient faire parler l’absurde et montre ainsi, avec humour, la vacuité d’un monde autocentré et froid.

Les fantasmes de Séverine viennent dynamiter les représentations ordinaires de la sexualité (le réalisateur se serait appuyé sur les fantasmes réels dont des femmes ont bien voulu lui faire part) et lui opposent un monde plus romantique, inspiré du 19ème siècle, où les fantasmes les plus fous peuvent vraiment prendre forme.

Mi-méphistophélique, mi-sadien, Michel Piccoli, complice habituel de Buñuel, est celui par qui le mal arrive, le démon tentateur qui pousse Séverine vers la prostitution, la faisant sortir de son cocon rassurant de la rive gauche.

De même, l’arrivée d’un petit malfrat dans l’intérieur bourgeois de Séverine, faisant soudain le lien entre ces deux vies, fait glisser la vie secrète vers la vie publique, les rêves de Belle de jour vers les mensonges de Séverine. Et cette rencontre de ces deux univers sera fatale à la jeune femme, provoquant son malheur.

Soufflant le froid et le chaud, ancien scandale devenu un classique, "Belle de jour" continue à séduire par sa perfection formelle, son exactitude. Et pour Catherine Deneuve, de tous les plans, dont la beauté résiste à toutes les souillures.