Parfois, cela tient à pas grand-chose. Nous avons découvert le micro label Wild Silence à la faveur de la sortie de Transbluency, le très bel album solo de Claire Vailler. Nous nous demandons encore pourquoi nous ne nous sommes pas intéressé plus tôt à ce label !

Pourtant, chaque disque découvert, il y a quatorze références en tout, est une véritable pépite et dans des styles différents (musique électronique abstraite, expérimentale ou plus classique, pop orchestrée, folk, musique improvisée).

Il y a par exemple Last Night I Dreamt Of Hibrihteselle de l’Anglais Richard Moult, superbe disque de dark folk / pop orchestrée (un des plus beaux du genre entendu depuis longtemps) sur des poèmes de Mary Webb, d’Ivor Gurney ou de Gladys Mary Coles.

L’écriture y est d’une rare intensité dramatique, l’orchestration et les jeux de timbres, le sens mélodique sont d’une totale justesse, foisonnante et subtile.

De l’intensité, on en retrouve également dans Aonaran du même auteur.

Construit d’abord autour de pièces pour piano solo qui ont ensuite évolué vers quelque chose de plus orchestré.

Forgé par la nature du nord-ouest écossais et des Îles Hébrides, Aonaran est un bateau ivre, mystérieux, âpre et profond, rappelant parfois Vaughan Williams.

 

Dear Future du pianiste activiste jazz, musique improvisée et avant-gardiste Thollem McDonas, regroupe des archives retrouvées dans une boîte à chaussure dans le garage de sa mère et datant pour certaines de ses premières années de collège.

A ses propres compositions se mêlent interprétations (Scriabine, Prokofiev…) expérimentations ou autres improvisations, œuvres de jeunesse qui expliquent le musicien punk (il est également le leader de Tsigoti), noise, jazz expérimental qu’il est devenu. Véritable miniaturiste presque parfois postimpressioniste, Thollem McDonas renvoie avec ce Dear Future, Gonzales et autres Nils Frahm à leurs chères études.

Un disque marqué tout autant par la douceur que par l’inquiétude, où l’humour est omniprésent et où des dissonances crépusculaires peuvent lacérer les plus belles mélodies. Et en plus, on ne serait pas surpris qu’il cite Glenn Gould comme influence…

Plus étrange, hypnotique et expérimental, Liminal Rites de Pefkin (projet solo de Gayle Brogan) est une ode à la nature, une recherche sur nos perceptions, notre conscience, les sensations, l’interaction même entre la lumière, les paysages et les espaces mentaux.

Autre projet solo mais cette fois de Jackie Mc Dowell, New Blood Medicine est un disque de folk presque psychédélique ou en tout cas chamanique, labyrinthique, modale et basé sur des musiques traditionnelles.

Bref, vous l’aurez compris, Wild Silence label à taille humaine, discret, profondément exigeant, DIY, abonde en disques plus intéressants les uns que les autres. Mais laissons la parole à la musicienne et fondatrice du label, Delphine Dora !

Qui est Delphine Dora ?

Delphine Dora : Cela doit faire une petite dizaine d’années que j’enregistre de la musique sous ce nom, qui n’est pas véritablement le mien, à une lettre près. La musique a toujours été hyper présente dans ma vie, je ne saurais dire pourquoi. Même si j’ai fait du piano dès mon plus jeune âge, commencé à l’âge de six ans jusqu’à l'âge de mes 15 ans, et que j’ai toujours été une mélomane compulsive, ma propre création artistique est en revanche plus tardive : j’ai commencé à écrire mes propres chansons à l’âge de 23 ans.

La publication de ces chansons remonte à 2005 alors que ça faisait seulement deux ans que je crée ma musique. Au tout début, elles étaient enregistrées au moyen d’un mini dictaphone, puis ensuite par le biais d’un enregistreur k7… Le son était totalement pourri, mais il y avait dans cette pratique, quelque chose de thérapeutique, presque cathartique qui m’animait véritablement, comme si j’avais besoin de saisir par le biais de la bande enregistrée quelque chose qui m’échappait, que je ne pouvais exprimer par le langage. Je ne me suis jamais lassée de cette pratique qui a occupé au fil du temps, une place de plus en plus considérable dans ma vie.

Depuis 2005, j’ai créé et publié des enregistrements de manière régulière, de façon plus ou moins clandestine, soit sur internet, soit via des CDr à édition limitée sur des micro-labels, fais quelques concerts...

J’ai le sentiment que ma musique prend une nouvelle tournure depuis quelques années, où je commence à sentir au fil des années une légère cohérence, que je ne saurais vraiment définir, dans mon parcours, malgré le caractère hétéroclite, et un style qui m’est propre. Je fais aussi plus de concerts (je joue principalement à l’étranger, et très peu en France) et j’ai eu pas mal de sorties sur différents micro-labels étrangers… ça me ravit, car ça montre que ma musique trouve une résonance quelque part, et ça c’est inestimable, car ça me pousse à continuer, même si ce n’est pas le moteur principal.

Comment et pourquoi décide-t-on de monter un micro-label ?

Delphine Dora : J’avais déjà une expérience de micro-label au début des années 2000. Je m’occupais du label Another Record avec mon compagnon (Vincent Seguret aka Dana Hilliot). On était deux au départ, puis progressivement au fil des années, c’est devenu un vrai "collectif" : on a décidé d’intégrer plusieurs membres, la plupart musiciens eux-mêmes du label qui participaient à la prise de décision et aux diverses activités du label (je ne sais plus combien on était à la fin, mais on devait être facilement 8-9). Ce fut de belles années d’amitié, de collaboration mais la structure a commencé à prendre une ampleur, et la tournure que prenait le label a commencé à m’intéresser de moins en moins (notamment, au niveau des choix artistiques), l’esthétique du label (plus orientée musiques indie) collait de moins en moins à mes goûts personnels (j’ai toujours été une mélomane passionnée et toujours attirée par les musiques différentes, un peu spéciales).

C’est là que je suis partie du label vers 2006-2007 pour plusieurs raisons : d’une part, ça m’intéressait de moins en moins de faire des concessions, et de mener des discussions interminables sur les licences libres, l’économie d’un label, le choix des artistes etc. D'autre part, je n'avais plus trop de temps à me consacrer à l'énergie du label et je préférais me focaliser sur ma propre création.

Je n’aurais pas imaginé que quelques années plus tard, j’allais recréer un label même si à un moment, j’avais eu l’idée de créer un micro-label avec une amie musicienne avec qui je partageais multitude de goûts communs, mais ça ne s’est jamais fait.

Bref, fin 2012, je décide de recréer un label en solo. Pour quelles raisons ? A ce moment là, je ne voulais pas passer mon temps à prospecter des labels, à me voir essuyer des refus, à passer du temps à attendre qu’on veuille bien me sortir… Le fait d’avoir déjà eu une expérience de label quelques années auparavant ne m’effrayait pas outre mesure et je trouvais ça excitant de redémarrer un nouveau chapitre, sur des bases neuves, de façon totalement indépendante, sans dépendre de personne ni de quiconque pour opérer des choix propres.

J’ai décidé de créer le label avec une première référence qui n’a rien à voir avec la musique que j’ai l’habitude de faire : un trio jazz / improvisé dans lequel j’ai pris part… et tout a démarré à partir de là.

Je crois qu’avec mes acolytes (Paulo Chagas et Bruno Duplant qui ont eux-mêmes leurs propres labels), nous avions commencé à recenser quelques labels, susceptibles d’être intéressés par notre travail… mais il y a tellement de labels de musiques jazz, improvisés, en France et par ailleurs, n’étant pas du milieu, je me disais qu’il allait être dur d’en trouver un pour sortir ce disque, j’ai donc préféré prendre les choses en main et le faire à mon échelle, c’est-à-dire de façon artisanale et modeste, de façon DIY. Bref, cesser d’être frustrée, d’exprimer des plaintes sur l’industrie du disque, se prendre en main. Voilà les motivations principales au sujet de la création du label, ça a été un geste très libérateur car ça m'a permis aussi de m'émanciper de tout un tas d'attentes.

De plus, j’avais pas mal d’idées musicales, diverses, à ce moment-là, je me disais que le label serait le terreau idéal pour sortir différents projets. Finalement, en 4 ans, je n’ai pas sorti tant de disques à moi (j’ai sorti pas mal de mes disques sur d’autres labels). J’ai plus sorti la musique des autres (il y a en tout 14 références et il y a pour l’instant 5 prochaines sorties à venir). Je ne sais pas combien de temps le label va durer mais je suis déjà très contente de son identité qui s’est construite au fil des années, et surtout des relations de confiance qui ont pu s’instaurer avec les musiciens.

T'es-tu inspirée d'autres labels ?

Delphine Dora : Je situe Wild Silence avant tout comme une extension de mon propre travail artistique. Je crois que j’ai été avant tout inspirée par le travail d’artistes qui avaient leur propre maison de disque, cet esprit d'indépendance. En effet, il y a un tas d’artistes dont j’admire le travail, qui ont créé leur propre label (en sortant à la fois leur propre musique et celle d’autres artistes). Je pense en particulier à David Sylvian (Samadhisound), Brian Eno (Obscure Records), Mark Kozelek (Caldo Verde), Ashley Paul (Wagtail), John Zorn (Tzadik), Felicia Atkinson (Shelter Press)…

Cela montre que c’est possible et qu’on peut être musicien et avoir un souci de générosité ; avoir un besoin de créer une "communauté" au-delà de sa propre préoccupation narcissique.

Wild Silence n’a rien avoir avec un label commercial. Les enjeux sont totalement différents : sur le mode de fonctionnement et la façon de faire, je me situerais plus dans une démarche DIY / artisanale. Le label ne fait pas de pressage de disque, les disques (CDr) sont fait de manière totalement manuelle à la maison ; il n’y a pas de License ou de contrat artistique, on ne travaille pas avec des distributeurs, la promotion est réduite, elle se fait au bouche à oreille, le réseau est restreint, mais ça fonctionne plutôt bien… Le label a son réseau de fidèles qui s'est acquis au fil du temps et j’ai très régulièrement des commandes venant de partout dans le monde (je suis vraiment surprise de comment les gens tombent sur le label, ça me surprend toujours).

Le fait que le label soit à petite échelle me va très bien comme ça, il y a quelque chose de punk dans la façon de faire, de ne rien attendre des institutions et de l'industrie, du système tel qu'il fonctionne et de faire les choses par soi-même, de créer une autre façon de faire… Le travail de Susan Matthews (avec son label Siren Wire) a été un déclencheur. Elle m’a montré que c’était possible d’avoir sa propre activité artistique et en même temps d’être généreuse et de sortir la musique d’autres artistes. Mais elle n’a pas été la seule, je crois que j’ai été inspirée par tout un tas de micro-labels qui existent par ailleurs.

Comment décides-tu donc des groupes que tu as envie d'avoir ton label ?

Delphine Dora : En général, lorsque je décide de contacter un artiste, j’ai déjà une bonne connaissance de son univers, c’est-à-dire que je ne sors pas simplement de la musique qui me plaît.

C’est rare que j’approche un artiste sans avoir aucune connaissance de l’univers ou d’avoir écouté juste un ou deux morceaux sur Soundcloud. J’ai besoin d’en savoir plus, de savoir d’où l’artiste vient, son cheminement, son parcours… Pour ça, je lis des interviews, j’écoute différents disques de sa discographie, j’ai besoin de palper un univers, une sensibilité qui me parle et me touche, j’ai besoin de sentir une approche artistique. Ca, c’est un élément déterminant.

Cela m’arrive rarement de sortir un disque d’un artiste qui me contacte directement. La plupart du temps, c’est moi qui contacte directement l’artiste avec qui je souhaite travailler. Mais parfois, il y a des exceptions…

S’il m’est arrivé de sortir des premiers disques (comme celui de Monte Isola ou Transbluency, le projet de Claire Vailler), c’est vrai que la plupart des artistes que je sors n’en sont pas à leurs premiers albums ou ne viennent pas de nulle part. Ce ne sont pas des débutants pour la plupart.

Effectivement, j’ai une attirance pour les artistes solitaires qui créent des choses magnifiques dans leur coin, la musique de créateurs discrets, qui creusent leur propre sillon, ou les explorateurs, les créateurs obsessionnels, qui sortent des sentiers battus, qui sont soit inclassables de par leur parcours ou qui tracent leur propre cheminement artistique et ont un style / une identité idiosyncratique.

J’ai envie de m’étonner et de mettre en avant la créativité individuelle, à l’heure où il est tellement facile d’être visible, à l’heure du tout visible, du tout partageable…J’ai envie de mettre plutôt l’accent sur des musiciens peu médiatisés, dont on parle peu et qui font pourtant des choses fantastiques à mon sens. C’est ça qui me fascine, la ténacité malgré l’adversité si on peut dire.

Quelle serait la philosophie, la ligne directrice de Wild Silence ? On retrouve une certaine exigence musicale, un rapport à la musique classique, expérimentale…

Delphine Dora : Je ne sais pas s’il y a une ligne directrice précise dans Wild Silence. Je dirais que ce qui fonde la cohérence, ce sont mes choix ultra-subjectifs et personnels. Pour quelqu’un d’extérieur, j’imagine que cette cohérence peut être difficile à cerner et à saisir, dans la mesure où il n’y a pas de ligne artistique claire et beaucoup de styles musicaux sont représentés (il suffit d’écouter les différents disques pour se rendre compte qu’on trouve autant du folk que de la musique électronique abstraite, de la musique improvisée, psychédélique, classique ou expérimentale). Je n’ai pas envie de me restreindre dans l’exploration des styles. Cette idée d’avoir plusieurs styles différents au sein du label me correspond bien car ma propre musique n’étant pas monochrome ; je n’avais pas envie que le label ait une identité trop restreinte comme c’est le cas avec pas mal de labels (je préfère jouer avec des nuances de couleurs plutôt qu’avec une couleur précise). Ce flou et cette ambiguïté artistique me vont bien, car elle me permet de surprendre et de me laisser surprendre.

Après ce n’est pas pour ça que je sortirais tout et n’importe quoi. Là encore, je ne crois pas que le label soit un amalgame et un pot-pourri de styles musicaux sans queue ni tête. Si on regarde d’un peu plus près et j’essaie de trouver quelques traits du label, je dirais qu’il y a un attrait pour un certain type de musique à la fois très contemplative et intimiste mais aussi sauvage de par son caractère "brut".

Peux-tu nous parler de l'artwork qui est aussi très soigné ?

Delphine Dora : Pour l’artwork, je laisse le libre choix aux artistes. Je pense qu’il n’y a pas vraiment de lien, d’entité visuelle entre chaque sortie. Je veux dire au sens où il y aurait une "cohérence" forte, dans la mesure où chaque artiste propose le visuel de son choix pour la pochette, en fonction de son univers visuel ou de ce qu’il a en tête par rapport à la musique qu’il a créée. Il y a pas mal de musiciens de Wild Silence qui sont par ailleurs artistes plasticiens (comme Myriam Pruvot de Monte Isola, Richard Moult, Rainier Lericolais, Jenny Jo Oakland de Empty Vessel Music…) qui s’occupent eux-mêmes du graphisme de leurs pochettes.

Il m’est arrivé à deux reprises de susciter un changement sur les choix opérés, car je n’étais pas très convaincue. Mais généralement, c’est délicat à faire entendre et je ne me sens pas très à l’aise dans cette position d’avoir à imposer mes visions, d’autant que je ne suis pas artiste visuelle moi-même.

Ce qui réunit chacune des sorties, ce sont les pochettes basées toutes sur le même modèle. J’ai sollicité Myriam Pruvot (qui s’est occupée de la pochette de Transbluency, entre autre) pour réaliser la charte graphique de toutes les pochettes. Elle a réalisé une sorte de "modèle" et sur cette base que toutes les pochettes sont créées. Je travaille avec un imprimeur local et avec Kamarade pour les pochettes cartonnées. Et ensuite je les assemble manuellement, de façon artisanale.