Il y a des artistes pour lesquels on a une sympathie, une inclinaison et qui dure malgré le temps qui passe. C’est le cas par exemple pour William Sheller. C’est peut-être parce qu’il nous accompagne depuis longtemps, parce qu’on l’a découvert tôt, à la fin de l’enfance, au début de l’adolescence, mais ce n’est pas totalement vrai sinon nous serions encore tous fans de Jean-Jacques Goldman.
Pour ma part, j’ai découvert Sheller vers quinze ans avec l’album Dans un vieux Rock’n’Roll (1976), j’étais en vacances dans le sud chez ma marraine et j’avais le droit de passer des disques vinyles sur la platine, et j’alternais entre le "Double Blanc" des Beatles que je découvrais et ce disque de Sheller. Je vous rassure, je ne vais pas vous raconter mes vacances et mon enfance, si ça vous intéresse vous retrouverez plein d’autres anecdotes tout autant passionnantes et croustillantes dans mon prochain livre à paraître aux Editions A Compte d’Auteur "Chuis pas bien. Autobiographie, Tome un", ISBN : En Cours. C’est amusant que j’ai découvert Sheller et les Beatles en même temps, une sorte de pied de nez du destin, car c’est justement en découvrant les Beatles que William Sheller laisse (un peu) tomber la musique classique pour faire de la pop. C’était il y a plus de quarante ans maintenant, et quoi de mieux pour fêter un anniversaire que de sortir un nouvel album ? C’est toujours mieux qu’un Best Of.
Pour ce nouvel album, Sheller choisit une formule qu’il pratique depuis près de vingt ans : le classique "piano, voix et quatuor de musique de chambre", c’est l’exercice le plus shellerien par excellence, même s’il est capable de se faire plus pop et baroque (Ailleurs) plus "moderne" (Les Machines Absurdes) ou même complètement rock (le sous-estimé Albion). Dix nouvelles chansons (enfin pas vraiment dix, plutôt sept nouvelles chansons, deux instrumentaux, une reprise de son back catalogue et un bonus, oui je sais ça fait onze) dans le même univers que l’on aime retrouver chez le Franco-Américain.
Musicalement, il n’y a pas grand à redire, nous touchons du doigt une sorte de perfection, un mélange entre pop et classique, que l’on ne trouve pas chez beaucoup de chanteur, chez personne ?, il réussit à faire un lien, un pont, un tout de deux choses qui semblent pourtant si éloignées, d’une part des morceaux pop, de variété, des chansons quoi, et d’autre part des morceaux pour quatuor à cordes dignes de petits concertos avec ses parfaits mots savants que je ne connais pas sur la musique classique genre polyphonie et harmonie. La force des morceaux est bien là, il serait tout à fait imaginable d’écouter les seuls instrumentaux et de prendre autant de plaisir qu’en écoutant les versions chantées, les deux courts instrumentaux semblent d’ailleurs en apporter la preuve.
Quand on écoute une chanson comme "Une Belle Journée", il est évident qu’elle aura pu avoir un traitement plus classique, enfin habituelle pour une chanson : guitare basse batterie et plein d’autres arrangements tout foufou, parce que c’est une bonne chanson avant tout qu’importe l’arrangement. Nous sommes loin de ce qui constitue la pop en général, c’est-à-dire trois accords qui tournent en boucle, c’est ambitieux sans être prétentieux, c’est ample sans être bouffi, c’est fin et délicat. La délicatesse, c’est aussi ce qui caractérise la voix de William Sheller, elle a conservé tout son charme, à bientôt soixante-dix ans elle n’a quasiment pas bougé depuis Rock ’n’ Dollars, peut-être juste un tout petit peu plus basse.
Vous l’aurez compris, c’est musicalement parfait mais qu’en est-il des textes ? Oui, c’est de la chanson française quand même et vous savez ce que c’est, sans texte de qualité la chanson française c’est juste du Vianney. On retrouve ici tout ce qui fait le charme de Sheller, c’est-à-dire pas de rimes faciles, pas des thèmes éculés, avec pourtant un champ lexical d’une étonnante simplicité, encore une fois sans la moindre prétention, pas besoin de mettre des mots savants, rares, pour susciter l’émotion, l’empathie et des images parlantes pour l’auditeur. Ainsi là où n’importe qui d’autre écrirait "tu me manques", chez Sheller cela devient "Comme je m’ennuie de toi" (c’est la fameuse chanson de son back catalogue qu’il reprend, à noter d’ailleurs que le "Je les emmerde au téléphone" original devient "Je les ennuie au téléphone", petit repentir quarante ans plus tard), avec des idées toujours pertinentes, des maisons sur la face caché de la lune, deux jolies chansons sur l’enfance mais pas que.
On retrouve évidemment sa manière d’écrire si particulière, un peu hors du temps, ses chansons en forme de longues descriptions, de lettres, de monologues pour un "toi", ses petites histoires avec des chevaux fantômes et sorcière moyenâgeuse comme dans "Walpurgis". Il est souvent question de mélancolie, d’amour plus ou moins contrarié, une sorte d’automne perpétuel.
Le seul reproche que l’on peut faire à ce disque est sa brièveté, en effet un peu plus de trente minutes, c’est court, surtout quand on a attendu si longtemps des nouvelles chansons, surtout quand on se sent si bien en écoutant un album. D’autant que le bonus (pas très bien caché) nous promet une heure de ciel bleu, parfait "Blue" qui nous prouve que quel que soit le style, Sheller est un cran au-dessus. Nul ne sait quand reviendra, j’attendrai, prends soin de toi.