Comédie dramatique de August Strindberg, mise en scène de Arnaud Desplechin, avec Martine Chevallier, Thierry Hancisse, Anne Kessler, Alexandre Pavloff, Michel Vuillermoz, Pierre Louis-Calixte, Claire de La Rüe du Can et Laurent Rober.
"Père" d' August Strindberg, oeuvre primordiale du grand dramaturge scandinave, cette pièce revient à la Comédie-Française, comme premier grand projet du nouvel administrateur, Eric Ruf. L’attente est forte.
Le Capitaine vit à la campagne, seul élément mâle d’un matriarcat implacable. Femme, fille, belle-mère, nourrice, toutes complices, du moins à ses yeux de traqué, maintiennent ce savant torturé dans une solitude cruelle qu’aucune paix ne berce.
Lorsque la maîtresse de maison, sa femme Laura, décide que leur fille, suivant sa volonté, n’ira pas à la ville poursuivre des études, s’opposant à la décision du père, le drame éclate. Le Capitaine découvre qu’il est le jouet d’un complot sournois ourdi par sa femme, qui détourne ses lettres, le prive de livres, introduit le doute sur sa paternité, manipule le nouveau médecin, naïf et influençable.
La folie, seule fuite d’un homme d’ordre, approche inexorablement de sa proie, attendue, presque espérée.
Pièce noire d’encre, que rien ne pourrait édulcorer, "Père" se délecte d’un anti-politiquement correct dévastateur, culbutant les fables convenues, où la faible femme se révèle redoutable, l’homme, le jouet de son sentimentalisme, englué dans le mariage comme un moucheron dans la toile, les enfants, attirés par le plus offrant, ceux qui nous aiment comme des exécuteurs à la demande.
C’est le cinéaste Arnaud Desplechin qui signe la mise en scène, bergmanienne, rigoureuse, froide de sang, aux lumières de Nord (bravo à Dominique Bruguière) distribuant Michel Vuillermoz dans le rôle de ce militaire broyé, sidérant d’humanité poignardée, aux côtés d’une Anne Kessler, tueuse sentimentale rusée, formidable, que seule son pasteur de frère (Thierry Hancisse, bouleversant) a démasquée. Martine Chevallier excelle dans son rôle de nourrice dévouée, bornée et aimant si mal.
Le texte claque comme le fouet, déchirant des silences insoutenables. Magistral et cinglant.