1992, il fait froid et il pleut. Fortuna retourne dans le village de son enfance. Celui où a grandi sa mère. Celui que sa grand-mère n’a jamais quitté. Nous parlons d’un temps que nous ne pouvons plus connaître. Quand les fées et les monstres avaient encore une place au coin des rêves. Valentina d’Urbano est une chamane des âmes noires dans ce roman : Acquanera.

Puisque nous ne sommes que la somme des vies de nos ancêtres, qui sont eux-mêmes la somme d’autres vies, à d’autres époques, en d’autres temps. Le premier talent de l’auteure est de nous faire croire à ce mystérieux village comme s’il était celui de nos aïeux, celui qu’ils n’ont quitté que pour envoyer leurs enfants à la boucherie. Celui où il faisait bon vivre (pas tant que ça visiblement).

Fortuna est la somme de Clara, Elsa et Onda. Des destins de femmes englués de préjugés et de non-dits. Elsa, la première, il y a fort longtemps avait un don pour les plantes. Ce qui est aujourd’hui célébré comme un providentiel retour à la nature, loin de la chimie et du capitalisme était en ces temps reculés ni plus ni moins que de la sorcellerie. Et ça, quand ça vous colle à la peau, et bien, comment dire ? Ça tient bien. Et ça déteint. Surtout si vous avez des filles.

Surtout si ces filles développent un don pour prédire les décès prématurés, ou un don pour communiquer avec l’au-delà. Pour ces femmes, c’est comme ça, ça vient tout seul et ça ne se contrôle pas. Et franchement ça leur pourrit plus la vie que ça l’apaise. Pour qualifier ceci de don, il faudra repasser. Surtout quand tu écoutes les voisins.

Revenons-en à Fortuna. Chose rare dans ces familles brisées par les commérages de la sortie de l’office (de la place du village, de derrière ses carreaux ou de devant ses fagots), après un début de scolarité mouvementé (jets de pierre et vade retro à tout bout de champ… essayez de lui parler de socialisation ou de normalité pour voir…), Fortuna a une amie, une vraie, une pure et dure. Luce, la fille du fossoyeur disparaît du jour au lendemain. Et reste introuvable. Même pour les dons hérités des femmes de la famille. Mais que lui est-il réellement arrivé ? Pour le savoir, il faut comprendre, et pour comprendre ce qu’elles sont, il faut savoir d’où elles viennent.

A première vue, le roman retrace la vie d’une famille en remontant sur quatre générations. Et puis le roman se révèle rapidement plus captivant que ça. Comme une balade dans la brume. On se laisse conduire par les méandres du ruisseau, en regardant au loin, sans se douter de ce qui va surgir sous nos pieds. Magique et mystérieux.

C’est d’une plume aérienne et enchantée que Valentina d’Urbano nous emmène dans son univers énigmatique et tapissé de ce difficile rapport mère-fille. Entre sauvagerie de la nature et domestication des pulsions pas franchement avouables, Acquanera est une passionnante histoire familiale, entre mauvais sorts et coups du destin, vous plongerez dans les lignes avec force, vous en ressortirez les convictions balayées. Ensorcelant. Troublant.