La Fondation Cartier pour l’art contemporain propose un voyage vivifiant dans la création artistique de la République démocratique du Congo de 1926 à nos jours.
Sous la houlette d’André Magnin, commissaire général assisté par Leanne Sacramone et Ilana Shamoon, "Beauté Congo 1926-2015 Congo Kitoko" rassemble 350 peintures, sculptures et photographies d’une quarantaine d’artistes de la scène congolaise que le visiteur découvre aux rythmes d’une musique dansante.
Le parti pris du parcours présenté sur deux niveaux et dans cinq salles tient en une rétrospective à rebours, qui consiste à remonter des artistes des jeunes générations jusqu’aux précurseurs, mais rien n’empêche de suivre un déroulé chronologique.
Des artistes oubliés des années 1920 aux artistes contemporains à la notoriété internationale
Au sous-sol se trouvent peut-être les pépites de l’exposition. En 1926, alors que le Congo est encore une colonie belge, l’administrateur Georges Thiry, passionné d’art, repère sur des cases des peintures : elles sont l’œuvre d’Albert Lubaki, ivoirier de métier.
Georges Thiry lui fournit à lui ainsi qu’à son épouse Antoinette du papier et des aquarelles. Il renouvelle l’expérience avec Djilatendo, tailleur de vêtements, lui aussi peintre de cases.
Figuratifs, les dessins d’Antoinette et Albert Lubaki reproduisent des situations du quotidien, où la nature et les animaux tels les éléphants sont très présents.
Les œuvres, somptueuses, de Djilatendo sont plus graphiques et ont recours aux motifs géométriques, avec une palette de couleurs dominée par le violet. Leur minimalisme interpelle et fascine.
Plusieurs expositions à partir de 1929 à Bruxelles, Genève puis Paris font connaître ces artistes au public européen. Après la Seconde Guerre mondiale, d’autres artistes émergent d’une façon similaire grâce au peintre français Pierre Romain-Desfossés qui fonde l’"Atelier du Hangar". Une quinzaine de peintres y développent en toute liberté leur propre style, espace où le rapport entre les hommes et la nature occupe une place centrale, et trouvent une reconnaissance en dehors du Congo, tant en Europe qu’aux États-Unis.
Particulièrement remarquables, les œuvres de Pilipili Mulongoy, qui donnent surtout à voir des scènes animalières, se distinguent par une grande maîtrise du dessin et se caractérisent par un fond parsemé d’une multitude de petits cercles.
A la fin des années 60, un nouveau groupe d’artistes émerge à Kinshasa.
Parmi eux se trouvent Moke, Pierre Bodo, célèbre pour ses femmes à la chevelure d'arbres, Chéri Chérin et Chéri Samba.
Contrairement aux artistes issus de l’académie des Beaux-Arts de Kinshasa et, pour la plupart, autodidactes, ceux qui se proclament "peintres populaires" offrent au regard la vie quotidienne kinoise, mais abordent aussi des questions politiques et sociales à travers des œuvres toujours hautes en couleur. Moke peint ainsi des scènes de bar baignées par la musique.
Pour mieux interpeler les consciences, Chéri Chérin et Chéri Samba intègrent du texte à leur tableau, notamment sous forme de légende didactique ou satirique. Avec "Les Parle-Menteurs des Parties Pourritiques" (2011), Chéri Chérin dénonce avec humour les mensonges des politiques. Chéri Samba nous confronte avec "Little Kadogo, I am for Peace, That is Why I Like Weapons" (2004) au phénomène des enfants soldats. Autre œuvre du maître congolais : "Oui, il faut réfléchir" (2014), réflexion sur l’avenir politique de l’Afrique, où on le voit aux côtés de Barack Obama et Nelson Mandela.
Datant également de 2014, "Mandela dignité pour l'Afrique" de J-P Mika, tableau où figurent aussi le président des États-Unis et le combattant de l’apartheid, est en filiation directe avec l’œuvre de Chéri Samba.
Né en 1980, J-P Mika utilise comme support des tissus décoratifs colorés et représente des couples ou des sapeurs, ces dandys africains, à grand renfort de paillettes.
La photographie est également très présente dans cette rétrospective. Ainsi Jean Depara immortalise la vie nocturne de Kinshasa des années 1950 alors en pleine effervescence, à travers les belles Kinoises dans leur robe de soirée ou des couples mixtes qui s’embrassent. Dans les années 1970, Ambroise Ngaimoko réalise des portraits posés de jeunes gens. Quant au photographe et réalisateur Kiripi Katembo, il saisit, à travers sa série "Un regard", la vie quotidienne de Kinshasa reflétée dans des flaques d’eau. Il révèle ainsi un portrait poétique et flottant de la capitale congolaise, qui n’occulte toutefois pas les conditions de vie difficiles des habitants.
Enfin, dans un registre différent, les architectures-maquettes de Bodys Isek Kingelez (notamment "Ville de Sète") et Rigobert Nimi se voient offrir une place de choix dans l’exposition.
Réalisées à partir d’éléments de récupération, ces villes et cités utopiques inventent pour l’Afrique et le reste du monde d’autres façons de vivre.
Comme l'indique Chéri Samba, "Cette exposition doit permettre aux gens de comprendre que l’art existe partout." Libres et affranchis de toute école, les artistes congolais élargissent l’horizon artistique.
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