Mais que fait un roman de 1993 sur les listes de publication de 2015 ? Prête à tout a même déjà été adapté au cinéma avec Nicole Kidman dans le rôle de la mystérieuse Suzanne. Joyce Maynard serait-elle en manque de pécule ? Recycle-t-elle ses vieilles intrigues avec la nouvelle génération ? Elle ne semble pourtant pas avoir besoin de ça, puisqu’elle collabore avec plusieurs journaux, magazines et radios, sans oublier qu’elle a également un joli rayon de romans de sa patte.
Mais alors quoi ?
Il vous suffira de survoler le résumé de la quatrième de couverture, d’ouvrir le roman n’importe où, d’en lire quelques lignes pour comprendre : Suzanne n’a qu’un but dans la vie… Et il est tout à fait d’actualité. A se demander par quel hasard ce livre a d’abord surgi dans le passé. Suzanne veut être célèbre. C’est tout.
Vous avez vu un peu la tronche des icones de nos chères têtes blondes et de l’âge Biactol Bêtassou ? Grosses prothèses et petite cervelle nous-voilà ! Semblent-ils dire à tout bout de champ. Je ne les nommerai pas (parce que je suis trop vieille pour ça), mais ils font le buzz, à grand coup de phrases choc et de réflexions débiles. Oui, la téléréalité a déplacé les rêves de succès de nos enfants de la belle carrière prévue par leurs parents (crise-chômage et matraquage Pujadas ont bien fait leur boulot), du côté de la célébrité à moindre diplôme (Story Vegas and Big Secret).
D’une mignonne soif d’amour à un besoin viscéral de reconnaissance, ils veulent tous être connus, par tous et pour tout (et souvent n’importe quoi). Et la Suzanne de 1993 compte bien y parvenir, par n’importe quel moyen. Même le pire. Y arrivera-t-elle ?
D’un banal fait divers en quatrième de couverture d’une presse anonyme, Joyce Maynard écrit un roman visionnaire sur les envies des mômes du 21ème siècle. Avoir un métier épanouissant, un mari aimant et des enfants babillants ne font plus fantasmer les minots. Porter des lunettes de soleil pour montrer qu’ils ne veulent pas se cacher, être abordé dans la rue par des groupies qui les adorent, se pencher pour cueillir des compliments à la pelle, être en première page de magazine (peu importe lequel), être devant, être regardé, admiré, envié, être montré en exemple de réussite, faire la fierté d’un parent indifférent…
Dans Prête à tout, Joyce Maynard ne se contente pas de décrire les rêves de gloire de Suzanne Stone, le roman n’aurait que fort peu d’intérêt. Ceux qui veulent lire ce genre d’histoire n’ont qu’à se procurer la biographie de 5000 pages d’un type de 22 ans. Joyce Maynard a construit son roman à plusieurs voix. Une bonne dizaine de personnes se partagent le micro, et les récits sont agencés comme Lily Rush le ferait d’un Cold Case sorti de derrière les fagots.
Le mari de Suzanne est décédé, retrouvé assassiné dans la magnifique maison familiale par sa femme traumatisée par la découverte. Et pourtant, ils s’aimaient, disent les voisins. Il était l’homme de sa vie, disent les parents. Elle a tellement trimé pour réussir dans la vie, disent ses collègues. Elle est tellement passionnée, dit sa sœur.
Entre retranscriptions de procès verbaux et journal intime, les chapitres se succèdent les uns après les autres, recelant un intérêt croissant au fil des mots. D’un fait divers, Joyce Maynard a construit un fabuleux roman, un peu comme un grand chef fait de folles arabesques de sucre filé à partir d’un ou deux petits sucres.
Visionnaire et irrésistible, un roman à emporter sur la plage (avec de la crème solaire et une laisse pour attacher vos enfants, votre attention restera exclusivement au livre), vous en ressortirez haletant avec un "je le savais" triomphal au bout des lèvres, en plus d’une furieuse envie de faire un gros câlin à votre vie de simple mortel qui reste du bon côté des journaux.
