Comédie dramatique de Anton Tchekhov, mise en scène de Lev Dodine, avec Elizaveta Boïarskaïa, Tatiana Chestokova, Serguei Kourichev, Danil Kozlovski, Stanislav Nikolski, Polina Prihodko, Xenia Rappoport, Oleg Ryazantsev, Ekaterina Tarasdova, Igor Tchernevich et Alexander Zavialov.

Présentées dans le cadre du Festival Le Standard Idéal initié par le directeur de la MC 93 Patrick Sommier, les mises en scène par Lev Dodine du répertoire tchekhovien du célèbre Maly Drama Theatre de Moscou, haut lieu du théâtre russe, dont il assure la direction et au sein duquel il oeuvre depuis quatre décennies, sont attendues comme le messie.

Pour la 10ème édition, Lev Dodine présente "La Cerisaie", un des opus de la trilogie majeure avec "Oncle Vania" et "Les trois soeurs", qui risque de déconcerter les spectateurs en attente du théâtre russo-russe confit dans une tradition passéiste.

En effet, d'une part, parce qu'il s'agit d'une adaptation, ce qui implique des aménagements apportés à la partition originale, et d'autre part, en raison des parti-pris de mise en scène contemporaine intégrant les procédés que sont, notamment, la suppression du 4ème mur, avec une récurrence néanmoins un peu trop appuyée des entrées/sorties des comédiens par la salle, et l'intégration d'anachronismes nonobstant un décor dans "son jus" et des costumes d'époque et cantonnant l'espace scénique au proscénium.

Enfin, et surtout, par le parti-pris de jeu qui s'avère résolument cinématographique privilégiant le sous-texte et le jeu non verbal avec une gestuelle qui, parfois, paraît peu en adéquation avec celle du tout début du 20ème siècle.

Et cependant, Lev Dodine livre une subtile variation qui, si elle s'éloigne de "la brochure", reste totalement fidèle à l'esprit de l'oeuvre qu'il analyse comme actuel car étant "une sorte de mythe sur l'Histoire, à la fois imprévisible et prédictible, sur l'impuissance de l'homme face à la vie et au destin mais aussi sur sa force, sa responsabilité, sa capacité à rester fidèle à lui-même, envers et contre tout".

Aux termes de la scénographie conçue par Alexander Borovski, la salle est transformée en salle de réception avec fauteuils habillés, énorme lustre et pendrillons grège occultant les murs et l'espace de jeu limité à l'avant-scène au demeurant largement réduit par un entassement de meubles enhoussés. Masqué par une gigantesque bâche tendue qui fera office d'écran, le plateau vide et obscur fait sans doute office de gouffre d'un futur qui va tout engloutir.

A l'instar des images "vintage" d'une cerisaie fleurie dans laquelle erre une fantomatique silhouette féminine qui évoque un tableau impressionniste à peiné animé par le souffle d'une brise légère, le spectacle se dessine dans le rythme très lent d'un temps dilaté sous forme de tableaux qui sont autant de stations d'un chemin qui repousse l'échéance de l'ensevelissement.

Car la Cerisaie est déjà condamnée quand, après cinq d'années de vie dispendieuse en France, suite à la noyade accidentelle de son jeune fils et son départ avec un amant intéressé, sa noble propriétaire revient en Russie, comme sont condamnées, minées par l'oisiveté et la vacuité, les classes privilégiées de l'aristocratie et de l'intelligentsia de surcroît confinés dans l'irrésolution.

Les domestiques et plébéiens attendent eux aussi que sonne une nouvelle heure. Seul s'agite la main armée du destin en la personne de l'entrepreneur et entreprenant Lopakhine.

Sous la direction de leur maître et mentor, tous les comédiens de la troupe du Maly Drama Theatre dispensent une prestation de haut niveau avec une mention spéciale pour Igor Tchernevich qui campe le frère immature et mélancolique, refusant le principe de réalité et réfugié à jamais dans ses livres et le souvenir de l'enfance insouciante et heureuse, Danil Kozlovski dans le rôle de Lopakhine à qui il confère la souffrance ténébreuse de l'amoureux sans espoir et surtout à Xenia Rappoport qui confère toute sa complexité au personnage central de Lioubov, l'héritière de la Cerisaie.