Monologue dramatique d'après le roman éponyme de Claire Etcherelli dit par Eva Castro.

La transposition théâtrale de textes littéraires qui ne sont destinés ni à l'oralité ni à la scène constitue un genre devenu pléthorique qui finit par lasser voire rebuter tant l'exercice est difficile sur le fond comme en la forme, peu convaincant dans son traitement et rarement réussi.

La proposition de Eva Castro échappe à cette sanction car elle témoigne d'un travail conséquent, avec la collabroration artistique de Carole Leblanc et Philippe Renault, non seulement d'adaptation mais également dramaturgique qui ne se cantonne pas à la mise en espace d'un texte proféré mais procède d'une véritable mise en scène avec de réels partis pris.

De surcroît, son choix s'est porté non sur une romance éthérée mais un roman fortement ancré dans une réalité socio-économico-politique qui répond à sa conception du théâtre comme "courroie de transmission entre le travail de l'écrivain" et "témoin d'une période historique" qui est "fondamental pour la survie de la mémoire collective et la construction de l'avenir".

En effet, elle a choisi "Elise ou la vraie vie" de Claire Etcherelli, publié en 1967, qui retrace le parcours, avec ses péripéties et déconvenues, mais également sa prise de consicience politique et militante, d'une jeune provinciale candide et idéaliste en quête de la "vraie vie", celle qui se déroule à la capitale.

Mais elle arrive à Paris en 1958, alors que la guerre d'Algérie bat son plein, à un moment d'extrêmes tensions - période que d'aucuns mettent en résonance avec la situation actuelle - résultant tant de la situation sociale que politique et découvre la réalité de la condition ouvrière, de la discrimination sexiste, du racisme à l'encontre des algériens français constituant une main d'oeuvre à vil prix et de la violence ordinaire.

Eva Castro a trouvé une judicieuse astuce pour remonter le temps et permettre une mise en parallèle contemporaine des thématiques intemporelles comme elle a trouvé le ton et l'émotion justes, avec une belle palette de nuances de jeu, en se plaçant dans le registre de l'incarnation du personnage, avec une partition alternant soliloques et remémoration de scènes dialoguées.

Voix au débit rapide et à la pointe d'accent hérités de son origine ibérique, vêtementrs vintage, gestuelle étudiée sans excès de démonstrativité, elle officie dans un décor minimaliste qui, avec la scénographie modulable conçue par Valérie Valéro constituée de cartons d'emballage, ne cède pas à la tentation d'un naturalisme illustratif.

Assurant également la mise en scène, elle n'a rien négligé avec la participation émérite de Jean-Marc Oberti, Fanny Rome et Frédéric Picart, respectivement aux lumières peaufinées et à l'habillage musical et sonore présent sans être invasif.

Eva Castro concrétise, en la légitimant, sa note d'intention et avec un spectacle abouti signe une belle réussite pour la première création de sa toute jeune compagnie Ginkgo Biloba Théâtre.