Amis qui ne touchez pas au Classique, je veux bien entendu parler de LA musique de référence des intellos et des bien pensants. LA musique Classique. Celle qui ne tolère nulle autre parole que ces prolongements de voyelles et les vocalises à s’en faire claquer la glotte. Les airs qu’on se plaît à imiter dans l’intimité mais jamais dans les allées bondées. La musique qui semble perchée sur une sphère d’initiés. Ce subtil mélange de cordes et d’harmonies tantôt frissonnantes, tantôt percutantes. Etrange et fascinante musique souffrant de sa richesse.
La mauvaise foi accompagne ceux qui n’ont jamais osé mettre les pieds dans Le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns. Et pourtant, ce sérieux et estimé compositeur du XIXème avait le sens de l’humour particulièrement aiguisé pour associer instruments et animaux. Quelle audace ! Certains de ses contemporains lui en ont voulu. Pas nous.
Eric-Emmanuel Schmitt, quant à lui, "regrette que son texte marche à côté de la musique sans aider à la faire mieux entendre". En garde ! Il prend la plume et la partoche et crée une nouvelle version, toute en vers, pour les grands et les petits. Il faut dire qu’il n’en est pas à son premier coup d’essai, dramaturge, essayiste et réalisateur, Schmitt a toutes les qualités de la mise en scène.
Et concrètement, c’est un superbe livre et un CD. Livre illustré par Pascale Bordet, musique de Saint-Saëns, mots d’Eric-Emmanuel Schmitt et voix d’Anne Roumanoff.
L’histoire non sans humour d’un Camille travaillant trop et négligeant les filles. "Pas plus glamour qu’un topinambour", il choisit la solution la moins extrême (et la plus sage, certainement) : glisser dans un sommeil extrême où apparaissent Irène de Saint-Cope, Alma Zurka et Pia Nissimo, comme trois beautés à courtiser.
Les charmantes proposent de départager les courtisans par la réalisation de leurs désirs. Camille les prend au mot et illustre chaque animal commandé de notes ajustées. Et c’est parti ! Des rondades, des sonates, des mélodies et des refrains, le tout accordé de mots, d’accents et de rimes, l’œil malicieux, le sourire en coin et les oreilles qui frisent. Un rêve ou une mine de jeu de mots et de jolies phrases à répéter.
Parce que l’exercice n’est pas à la création de sylphides et de nymphes. Mais plutôt de caquetantes gallinacées, d’obèses pachydermes empotés, de frétillantes écailles, de sautillantes, de braiements catalans "dont la longueur d’oreilles est inversement proportionnelle aux capacités de sa cervelle". Toute une compétition de créations musicales, à en oublier les instruments, à en ricaner doucement, à s’en moquer éperdument, à s’incliner devant tant de talent.
Le Classique dans toute sa splendeur. Humour et instruments. Loin des ambiances guindées et chics des concertos pour piano. Pour agrandir l’imaginaire. Pour les grands timides et les petits turbulents. Pour dessiner, peindre, manger et jouer à la fois. Non, le piano n’est pas réservé aux intellos, le violon n’est pas l’apanage des complaintes, les flûtes ne sont pas la propriété des druides. Ils sont aussi des boîtes à rêves, et à sourires.