Comédie d'après la pièce éponyme de William Shakespeare, mise en scène de Clément Poirée, tavec Suzanne Aubert, Moustafa Benaïbout, Camille Bernon, Bruno Blairet, Julien Campani, Eddie Chignara, Matthieu Marie, Laurent Ménoret et Claire Sermonne.

Après "Beaucoup de bruit pour rien" monté en 2011, Clément Poirée met en scène une autre comédie d'intrigues de William Shakespeare construite sur le jeu de l'amour et des fausses apparences.

Dans "La Nuit des rois", le duc Orsino aime la comtesse Olivia qui lui oppose une fin de non-recevoir motivée par le chagrin et la fidélité dus à ses défunts père et frère.

Il mandate Cesario, en réalité Viola une jeune fille de bonne famille rescapée d'un naufrage travestie en page, pour intercéder en sa faveur auprès de la belle qui s'éprend du jouvenceau. Parallélement, la servante de la comtesse fomente une mystification destinée à ridiculiser l'intendant Malvolio.

Clément Poirée indique dans sa note d'intention avoir voulu "sortir la pièce de l’Histoire littéraire". Ce qui en pratique correspond à une nouvelle traduction confiée à Jade Lucas qui constitue la trame d'une version scénique revue par une écriture de plateau.

Ainsi, pour cet opus qui mêle romance et farce, il a opté pour le divertissement et la bouffonnerie et, alors même que l'argument principal réside dans le travestissement de Viola subtilement traité par Shakespeare, s'attache davantage aux facéties des personnages plébéiens qu'aux amours contrariés des aristocrates.

Transportant l'intrigue du 16ème au 19eme siècle, substituant le romantisme au baroque, Clément Poirée place la comédie sentimentale sous le signe de la posture de l'amour impossible pour l'une et du spleen mussetien pour l'autre en la soumettant au registre de la parodie. Par ailleurs, il fait la part belle aux frasques du bambochard Sir Toby, à la vengeance de la servante et à la déconfiture de Malvolio.

L'action se déroule dans dans les steppes "au bout de la ligne du Transsibérien" où est transplantée l'Illyrie shakespearienne et dans un dispositif scénique unique, celui des vestiges d'une demeure tchekhovienne conçue par Erwan Creff.

De celle-ci ne subsistent que de grands murs couleur vert bronze et de modestes lits à baldaquin aux voiles blancs évoquant les lits des salles communes des hôpitaux du début du 20ème siècle, auquel, a l'envi, des jeux de rideaux permettent d'évoquer le théâtre de tréteaux comme les jeux de lumières de Kevin Briard apportent une dimension onirique.

Formé à la bonne école, collaborateur artistique et assistant de Philippe Adrien, Clément Poirée parvient à syncrétiser le mélange des genres qui s'imbriquent sans incohérence de manière naturelle et assure une direction d'acteur maîtrisée pour assurer la synergie d'un spectacle choral dispensé par une troupe émérite composée notamment de "fidèles" avec une distribution qui s'avère judicieuse en terme d'emploi.

Suzanne Aubert a le physique gracile idéal pour incarner la juvénile Viola, Matthieu Marie est parfait dans le rôle du narcissique et maniéré amoureux de l'amour et Claire Sermonne délicieusment drôle en (auto)frustrée d’amour et Julien Campani assure efficacement plusieurs rôles secondaires.

Les scènes cocasses et jubilatoires, assorties d'anachronismes qui réjouissent toujours le public, donnent l'occasion de beaux numéros d'acteur, dus à l'écriture de plateau, péché véniel au regard de la tenue de l'ensemble, avec en tête de peloton, Laurent Ménoret dans le rôle du puritain Malvolio dont le tempérament libidineux se déchaîne sur l'air de la chanson-tube "Ti amo"

Un beau quatuor mène la danse : Camille Bernon, au jeu expressif, qui campe la domestique machiavélique, Bruno Blairet, désopilant en bouffon clairvoyant et mélancolique et la formidable paire de pieds nickelés formée par Moustafa Benaïbou, irrésistible en prétendant escroqué et dévoyé par Eddie Chignara, truculent en ivrogne invétéré, qui revisite le duo de clowns à la lumière du comique troupier et et de la folie cartoonesque réunis.

Un spectacle où le spectateur ne boudera pas son plaisir.