Comédie dramatique de Grégory Goutay, mise en scène de Richard Fériot, avec Eva Provence, Michel Grand et Grégory Goutay.
Sommes-nous entrés dans le 21ème siècle ? En allant au théâtre écouter des textes minimalistes, assister à des représentations convenables et désincarnées, dans une indifférence distinguée et mortifère, on peut se demander si notre époque, étouffée par la peur, ose encore dire quelque chose, répéter même, avec génie, y ajoutant une seule nouvelle nuance de ciel qui lui appartiendrait.
Au Théâtre du Nord-Ouest, dont c’est la vocation et l’honneur d’exister, on ose laisser jouer, ainsi la première pièce de Grégory Goutay qui vient d’éclore. Oublions tout, souvenons-nous sans comparer, entrons dans sa forêt de mots où coule un langage inventé.
Un jeune homme dans sa chambre sous les toits. Un lit-cercueil. Des carnets. Il écrit. Il attend. Le satin, posé sur le lit, suggère un rendez-vous d’amour. Mais le satin est noir. On imaginerait quelque beau reptile y onduler. La charge est extrême. Le jeune homme va parler…
Et une voix surgit, qui le conteste avant même qu’il existe. Un ami est là, un homme d’âge, qui le moque, le remue, le conteste. Il l’a aimé, ce qui est impardonnable. C’est un ami terrible, un ami ancien.
Sous ses coups de butoir, la porte de l’indignation cède et le jeune homme devient fleuve qui éclabousse la scène. Il aime une gourgandine, une "coquette de province", qui le fait souffrir, le trompe avec un vieillard paternel. Et le narquois ami chenu, de s’effacer, et la belle d’apparaître, d’albâtre et de sang, et l’amour de se faire, et le malentendu de se lover entre eux. Le hurlement de l’enfant perdu qui veut sauver qui il aime, pour qu’on le sauve aussi, déchire.
Ce n’est pas un texte romantique mais atrocement moderne, qui parle de la souffrance traitée des êtres. C’est un texte fou et puissant, ravageur, d’une vérité-lame.
Par défi évident, c’est l’auteur lui-même, Grégory Goutay, qui joue le jeune homme, jetant sa beauté à la flamme, face à une Rose - la bien-aimée - remarquablement incarnée par Eva Provence, sulfureuse et énigmatique à souhait, à la présence incandescente, tandis que Michel Grand, immense acteur, ajoute sa sensibilité douce et gouailleuse, qui équilibre subtilement la frénésie des deux jeunes gens.
Richard Fériot a mis en scène ce spectacle rare et distinct - évoquant parfois un univers à la David Lynch - avec intelligence et en laissant vivre, de son souffle propre, l’écriture nouvelle, raffinée et déroutante de Grégory Goutay, révélée par "L’écrou".
Voilà où passer une de vos premières soirées dans ce 21ème siècle si mal-connu.
