Spectacle conçu et mis en scène par Xavier Gras à partir de textes de Maurice Genevoix et Ernst Jünger, avec Fabian Arning, Thomas Kellner, Vanessa Mecke, Thierry Simon, Mathilde Moulinat et Vincent Vernerie.
Pour évoquer, dans le cadre du Centenaire de la première guerre mondiale, qui en 1914 augurait d'une siècle noir et dans le registre d'un théâtre mémoriel, ce qu'il nomme, par une métaphore christique, "La Passion des soldats de la Grande Guerre", Xavier Gras a puisé dans la littérature de guerre en sélectionnant deux ouvrages issus de notes consignées "à chaud" par deux jeunes soldats qui deviendront écrivains
"Ceux de 14" de Maurice Genevoix, mobilisé à 24 ans, et "Orages d'acier" de Ernst Jünger, engagé volontaire à 19 ans, constituent des témoignages essentiels, et de surcroît en miroir, sur le quotidien des soldats des deux camps, pas ceux de Etat major qui veut écrire l'Histoire depuis les bureaux de la capitale, ni même ceux de "l'arrière" qui servaient de courroie de transmission, mais les obscurs, les sans grade, les "poilus" du front dont le courage, "ce courage qu’on a quand on peut pas faire autrement", sera loué de manière générique et les noms listés sur les monuments consacrés à la "der des ders".
Loin des débats philosophico-politiques sur la cause et le sens de cette guerre, les jeunes hommes qui, accompagnés par une festive fanfare, sont partis "la fleur au fusil" prêts à en découdre pour sortir de l'ordinaire et se confronter à des rêves de gloire et de conquête, perdent très vite illusions et enthousiasme quand, débarqués sur le terrain, ils sont confrontés à la réalité.
Devenus des taupes excavatrices pour une guerre de terrain qui se gagne ou se perd mètre après mètre et des rats piégés dans un labyrinthe de tranchées, leur seule préoccupation est de survivre.
Pour concrétiser un projet ambitieux qui se veut commémoratif, didactique et réflexif sans verser dans le spectacle épique, Xavier Gras a opté pour une forme narrative exigeante, celle du récit mis en scène, et élaboré une partition résultant du montage croisé de textes originaux issus des oeuvres précitées ordonnés en tableaux thématiques très dynamiques relatant la guerre abordée sous l'angle humain, celui de la vie quotidienne des soldats.
Avec une grande économie de moyens, sans décor, des costumes militaires indifférenciés, quelques accessoires militaires tels le paquetage et la cantine et une bande sonore sobre, ni illustrative ni invasive, une rigoureuse et judicieuse mise en scène axée sur le réalisme distancié et une épatante distribution binationale composée de jeunes comédiens français et allemands s'exprimant dans leurs langues respectives, le pari est tenu.
Jeu choral, ton juste et verbe incarné, sans démonstrativité humorale ni pathos émotionnel, Fabian Arning, Thomas Kellner, Vanessa Mecke, Thierry Simon, Mathilde Moulinat et Vincent Vernerie livrent une prestation émérite de grande qualité.
