La romancière Joyce Maynard le reconnaît elle-même, elle a en tête une bande-son lorsqu’elle écrit une œuvre de fiction. Le premier titre de la bande-son de L'homme de la montagne serait sans doute "That's Amore" de Dean Martin. Il illustrerait l'insouciance de ces deux sœurs, Farrah et Patty, qui grandissent dans la banlieue de San Francisco, au-delà du Golden Gate Bridge, où se trouve le mont Tamalpais. Une enfance où leur père est leur héros, cet inspecteur de police italo-américain qui les promène dans son Alfa Roméo, cuisine la meilleure sauce marinara du monde, et séduit toutes les femmes au passage. Une enfance solitaire aussi, car entre ce père vite parti du foyer et une mère dépressive qui passe trop de temps dans sa chambre, les deux sœurs auront cette montagne voisine comme terrain de jeux privilégié, où elles vont développer un univers bien à elles. Le talent de Maynard est de décrire parfaitement ce monde des deux sœurs, entre découverte de la nature environnante et aventures de détective en herbe.
Puis soudainement, à l’été 1979, on basculerait dans "My Sharona" des Knacks (dont les paroles sont inscrites en épigraphe au début du roman). Avec toute sa tension sensuelle, celle-là même que Farrah va découvrir peu à peu, mais aussi avec ce riff entêtant qui préfigure d'un danger. Ce danger va prendre la forme d'un homme qui assassine des femmes les unes après les autres dans le terrain de jeux de Patty et Farrah... Si l'intrigue policière, inspirée d'une histoire vraie, rappelle celle du Zodiac, l'auteure a eu la bonne idée de l’étaler sur plusieurs décennies et d’adopter le point de vue narratif d'une enfant de treize ans qui découvre les affres de la pré-puberté, la popularité et ses travers, qui assiste à la déchéance de son père (ce dernier est en charge de trouver en vain le meurtrier), et qui va peu à peu trahir cette sœur fusionnelle dont on sait dès la première page qu'elle ne sera pas sauvée. Un livre en somme aussi entêtant qu’un riff des Knacks.