"La nuit grecque", premier opus de Pierre Vens, se présente comme un roman "romanesque" articulé autour de deux thématiques : le phénomène de la rupture existentielle inhérente à la crise de la quarantaine, en l'espèce combinée avec un double échec, professionnel et conjugal, et une déclinaison du mécanisme de la passion amoureuse.

Vincent, milieu aisé, quarantaine superbe, chef d'entreprise dynamique, est confronté tant aux difficultés économiques de l'entreprise qu'il dirige qu'au délitement de sa vie familiale.

Au cours d'un voyage d'affaires en Grèce, se produit un événement, a priori inattendu, qui est la rencontre d'un trentenaire efféminé et homosexuel, la fameuse "nuit grecque", qui ne resterait qu'une aventure sexuelle sans lendemain nonobstant la nouveauté de l'expérience, et peut-être la découverte d'une homosexualité latente, si n'étaient réunis les éléments conjoncturels propres à l'ériger en passion amoureuse.

En effet, la transgression, l'éloignement géographique, l'obstacle tenant à la situation des deux amants engagés dans une relation de couple établie et le prosaïsme tenant aux disponibilités financières du principal protagoniste lui permettant des escapades dans les palaces de différentes capitales européennes, exacerbent et prolongent l'exaltation initiale.

Abstraction faite des développements relatifs aux déboires professionnels de ce dernier, au demeurant dispensables et peu crédibles, le roman qui, au grand dam des lecteurs-voyeurs, est très pudique, Pierre Vens usant du procédé cinématographique du fondu-enchaîné pour éluder la crudité complaisante de la factualité sexuelle, emprunte le sillon déjà largement creusé de la dichotomie entre désir et amour, de la bisexualité et l'analyse du mécanisme de la passion.

Donc rien de très novateur ni au fond ni dans le style relativement édulcoré pour cette passion vue par le prisme de l'intellect qui la dépouille tant d'émotion que d'érotisme, dans un opus qui ressortit à la déclinaison homosexuelle de la "Passion simple" de Annie Ernaux.

Mais au fil de la narration, Pierre Vens aborde, par une approche aussi inattendue que singulière, le véritable enjeu de cette relation qui repose une perversion du désir, qui n'est pas que quête du plaisir, et la chosification de l'autre.

Et là réside l'intéret essentiel de la lecture, dans cette analyse spécifique de l'objet du désir, terme particulièrement adéquat dès lors que celui-ci n'est pas vraiment une personne estimée ou appréciée ("Il ne s'intéresse à rien sinon à la satisfaction de ses besoins primaires. Il mange, se lave, achète des vêtements et baise") mais un corps-objet ("Il n'est qu'un contenant, celui de la pulsion folle de Vincent", "Ce garçon n'était plein que de son désir sexuel") et dans la finalité de cette relation dans laquelle il est délibérément instrumentalisé pour affronter le réel ("Ce garçon forge un espace secret, dans lequel il peut se reconstruire").

La reconstruction de Vincent passe par la frénésie nouvelle des corps liée à l'homosexualité et une relation vécue uniquement dans l'instant, dépourvue de passé comme de futur, dans un espace-temps déconnecté du réel ("... le sentiment d'être dans une bulle, isolé du monde et de sa réalité...) à visée "thérapeutique" tel un coma artificiel.

Et il n'est jamais question d'amour dans cette rencontre initialement qualifiée de "inavouable et lumineuse", éventuellement un amour "canada dry" ("le désir qui se mue alors en un artefact d'amour") ou un amour-miroir ("Cet amour si intense, il ne l'a en fait jamais vécu, ça n'a jamais rien été d'autre que l'amour du même"), qui moins fortuite qu'il n'y paraît correspond à une quête du moment ("Ce soir il est ce qu'il veut, et, surtout, ce qui est le plus étranger, le plus éloigné de sa réalité").

Elle est, par ailleurs, révélatrice d'un auto-érotisme narcissique ("Il se revoit, lui, il y a quinze ans ; avant les engagements et les déceptions, avant les fatigues et les blessures. Il est soudain projeté en arrière par cette bouffée de tendresse et, immédiatement, ressent une onde brûlante et puissante, incontrôlable et délicieuse, l'incandescente tension de la pulsion sexuelle").