Photo de couverture avec effet plongeant sur une gorge corsetée et titre usant de la syntaxe du français classique pour le dernier opus en date de la romancière Christine Orban.

Dans "Quel effet bizarre faites-vous sur mon coeur", elle décline le thème romanesque par excellence du chagrin d'amour, qu'elle contextualise au début du 19ème siècle dans la configuration particulière du divorce par décision unilatérale de l'époux et dans un milieu privilégié, celui du Gotha.

Car le personnage qu'elle a choisi d'investir pour élaborer une partition fictionnelle selon le procédé de "la caméra intérieure" n'est pas moins que l'impératrice Joséphine, épouse de l'empereur Napoléon 1er, à qui, en raison de sa stérilité, a été imposé un divorce pour raison d'Etat.

Ce roman, qui constitue la version développée d'un cour texte paru en 2013 sous le titre "Le sacrifice de Joséphine" dans le cadre d'une contribution à la série estivale "Les amants de l'histoire" du quotidien Le Parisien, tombe à point nommé en l'année du bicentenaire de la mort de Joséphine à laquelle est notamment consacrée deux expositions, "Joséphine" au Musée du Luxembourg et "Joséphine, la passion des fleurs et des oiseaux" au Musée du Château de Malmaison.

Annoncé par l'éditeur comme "le roman de l'été", ce roman invite la lectrice abonnée à "Point de vue-Images du monde", qui, sur la plage abandonnée, est en quête de compassion sororale, à se noyer dans l'océan de larmes, d'affliction, de chagrin et de tourments que Christine Orban attribue à Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie, veuve du vicomte de Beauharnais, première épouse de Napoléon Bonaparte et connue du grand public sous le nom de Joséphine de Beauharnais.

En effet, elle se présente comme le lamento d'une femme amoureuse, vertueuse et éplorée soumise à toutes les souffrances de l'amour trahi, aux affres d'un divorce vécu comme une répudiation injuste, humiliante et infamante et au comportement indigne d'un ex-conjoint coupable de "meurtre prémédité d'une biche blessée à mort".

Mais cette fiction, qui n'est affichée ni comme une biographie, ni comme un roman historique, n'engendre non seulement aucune empathie mais aucune identification possible avec son héroïne malgré l'optique de l'auteure qui voit en elle une femme comme toutes les femmes. C'est avoir une curieuse conception et opinion des femmes car Joséphine n'est pas une femme comme les autres.

La Joséphine de Christine Orban, qui est proche du personnage officiel, n'est ni une amoureuse ni une femme de coeur mais une femme de tête égocentrique préoccupée uniquement de trouver le financement de sa luxueuse vie mondaine et de ses dépenses somptuaires.

Et, sur le plan moral, une femme dépourvue d'affect comme de scrupule, pour qui tout est affaire de stratégie, qui présente nombre des caractéristiques de la personnalité du pervers narcissique.

En clair, à la mort de son premier mari, dépourvue de fortune personnelle, âgée de 33 ans, ce qui à l'époque n'était pas une jeunesse, pourvue de deux enfants, nonobstant sa particule et son charme, elle ne peut guère prétendre à un remariage "doré" et s'investit dans le commerce des hommes.

Joséphine est donc une courtisane, certes de "haut vol" mais néanmoins une femme entretenue. Ce qu'elle sera toute sa vie, même après son divorce, et de surcroît aux frais de la nation qui assumera non seulement sa substantielle pension alimentaire mais un luxueux train de vie au Château de Malmaison qui devient une cour parallèle où défilent les têtes couronnées européennes.

Douée dans l'art social de la représentation et l'art de recevoir, elle l'est également dans celui de la comédie et du mensonge. Lucide, elle connaît ses atouts - charme, coquetterie, bonne éducation ("Mes airs de grande dame m'aidèrent à obtenir du crédit") et larmes ("Ma facilité à émouvoir achevait de les convaincre", "Mes pleurs finirent par avoir raison de ta décision") - dont elle se sert avec habileté pour vivre des largesses de ses amants outre "des combines de la Martinique, des largesses de ma chère maman et de ce qui me restait de ma dot" qui ne me suffisaient pas.

A cela s'ajoutent ses "méthodes et petites stratégies" : cultiver le manque face à l'homme amoureux ("Alors je gérais mes faveurs, elles n'en avaient que plus de prix"), ne pas répondre aux lettres enflammées ("Ma retenue était une petite stratégie", "Ma méthode, même si tu t'en plaignais à longueur de lettres, était bien efficace") et se donner les moyens d'intriguer ("Mon réseau d'informateurs était bien étendu").

Le veuvage lui octroie une liberté dont elle entend bien user pour "s'établir" ("Ma destinée dépendait de moi. J'organisais des dîners où je conviais des personnes importantes et même les nouveaux dirigeants du pays") et jouir sans entrave ni limite de la vie ("A l'époque où tu m'as rencontrée, j'avais décidé de vivre", "Si l'argent pouvait enjoliver la vie, pourquoi m'en priverais-je puisque de bonnes âmes consentaient à m'en prêter ?", "Je ne me refusais rien").

Dans ce roman, Joséphine évoque ce passé puis sa vie commune avec Napoléon sous forme de la confession intime résultant d'un "tribunal intérieur" consignée sur un carnet écrit à l'intention de dernier ("J'écris pour que ton jugement soit plus clément avec moi") face aux torts qui lui sont reprochés et qu'elle entend bien réfuter.

Et la "biche blessée" donne une grande leçon de manipulation avec une technique qui intègre, entre autres, la fausse dévalorisation de soi ("Je suis sans talent, sans volonté, une écervelée"), la position victimaire en érigeant les vicissitudes de sa condition aristocratique pendant la Révolution en excuse absolutoire tous terrains ("Je suis une femme accidentée. Une moitié de moi est morte en prison") et l'utilisation de l'arme massive de la culpabilisation pour se défausser de ses torts.

Ainsi, par exemple, son mariage avec Napoléon est un mariage de raison car elle n'éprouve aucune considération pour ses manières cavalières ("Tu étais rustre, sans habitude de la société") ni sentiment à son égard.

Et c'est lui qu'elle "accuse" d'un mariage de pur intérêt ("Tu étais corse, roturier, ton union avec un fille de famille bien française t'arrangeait", "J'étais une femme bien installée au coeur d'un réseau d'influence alors que tu n'étais qu'un jeune général de 26 ans", "Mon ancienneté te donnait de la consistance, ma maison était une de plus réputées de Paris et je savais y recevoir", "Il est probable que tu as pensé en m'épousant que j'avais plus de fortune qu'en réalité").

Elle n'éprouve pas davantage de sentiment pour lui. Alors pourquoi l'épouse-t-elle ? Par intérêt : "Sans notre mariage, j'aurais fini dans un salon, en femme d'influence, délaissée dès qu'elle aurait pris des rides".

Par ailleurs, mesdames, prises en flagrant délit d'adultère inspirez-vous de son argumentaire en trois points : il n'y a pas adultère envers la personne ("Entre ses bras, j'ai oublié l'absence, pas l'absent") étant précisé que l'absence n'a pas être de longue durée puisque cette citation se réfère à sa liaison avec Hippolyte Charles dont elle devient la maîtresse trois jours après le départ de Napoléon, l'adultère n'est pas une faute mais une faiblesse ("J'étais faible, démunie face à l'envahissement du passé. J'étais seule, j'avais besoin d'étreintes", "J'ai sombré sans m'en apercevoir") et, en tout état de cause, est de la faute de celui qui est trompé ("Rien de tout cela n'aurait existé si tu avais été là plus souvent").

Rouée et cynique, elle se sert de manière récurrente de ses enfants nés de son premier mariage comme arme de chantage à la compassion et, s'agissant du point épineux de la stérilité de l'union avec Napoléon et du divorce éventuel, elle fait croire à ce dernier qu'il en est à l'origine. Quand son mensonge est démenti par la naissance de "bâtards" napoléoniens, elle n'hésite pas à forcer sa fille Hortense à épouser Louis Bonaparte, un neveu de l'empereur, en prévoyant d'adopter leur futur fils pour écarter le risque de divorce et assurer la pérénité de l'Empire.

Et à propos du fameux divorce, que Joséphine a cru pouvoir écarter jusqu'au dernier moment - le soir même de son annonce "officielle" elle n'hésite pas à toquer à la porte de la chambre de Napoléon tentant une fois encore l'office galant ("Je jouais mon dernier acte") - et le jour de son départ vers la Malmaison, au plus profond du désespoir allégué, sa principale préoccupation est de savoir... si elle peut emporter ses meubles.

Joséphine ne cesse de crier à l'injustice qui aurait émaillé une vie parsemée d'épreuves et de malheurs. Effectivement la vie est injuste. Et pourtant son projet de "GPA" trouvera une effectivité posthume puisque un des fils de sa fille Hortense deviendra l'empereur Napoléon III. De plus, par son fils Eugène et le jeu des alliances matrimoniales, Joséphine est l'ancêtre de la plupart des dynasties régnantes d'Europe alors la lignée légitime directe de Napoléon 1er s'éteint en 1832 avec la mort du Roi de Rome.

Christine Orban pratique de manière compassionnelle la langue française vieux siècle aux accents balzaciens et manie efficacement une plume compassée pour émouvoir Margot.