Après "Le Brasier de Justice" et "En ce sang versé", André H. Japp, écrivain spécialiste du roman policier médiéval, livre avec "Le Tour d'abandon", le troisième tome des enquêtes de M. Justice de Mortagne dont la singularité tient à la fonction de ce dernier.
En effet, de son vrai nom Hardouin Cadet-Venelle, il a hérité de la charge de bourreau qu'il exerçait sans état d'âme jusqu'au jour d'une rencontre qui fut aussi fugace que foudroyante et décisive, et ce sur tous les plans.
Cette rencontre est celle d'une innocente condamnée au bûcher dont il a dû néanmoins assumer l'éxécution, la séraphique Marie de Salvin devenue "son ange meurtri, son spectre adoré, sa plus fulgurante histoire d'amour", qu'il ressent depuis comme une présence protectrice et qui l'a incité à doubler sa fonction officielle de celle d'enquêteur privé, pour son propre compte ou celui du bailli de Mortagne.
En novembre 1305, dans le comté du Perche rattaché au domaine royal et plus précisément à Nogent-le-Rotrou, tout commence avec la disparition de nourrissons qui avaient été déposés dans un "tour d'abandon", réceptacle aménagé dans les hospices, églises ou couvents, dans lequel les filles pauvres engrossées à la légère, les mères de famille déjà trop nombreuse et les jeunes filles de bonne famille ayant fauté pouvaient se défaire en toute discrétion d'une embarrassante progéniture non désirée, et la disparition d'enfants miséreux.
A une époque où n'existait pas la sacralisation "affective" de l'enfant, celui-ci ne générant pas l'attachement des sociétés modernes notamment en raison du taux élevé de mortalité infantile, l'enfant étant uniquement considéré uniquement comme "hoir" par les castes nobles et la classe aisée des marchands pour assurer leur succession et comme bras pour le travail pour les parents plébéiens, mais lui reconnaissait une valeur marchande puisqu'elle connaissait la pratique de l'adoption monnayée, du rapt d'enfants pour en faire des monstres de foire et de la location d'enfants comme main-d'oeuvre, ces événements quasi "ordinaires" n'auraient guère susciter d'émoi.
Mais, des circonstances particulières interviennent. D'une part, est enlevé le fils batard d'un notable, Eustache de Malegneux, gendre de la baronne de Vigonrin, cousine du Pape, et, d'autre part, l'incurie de la justice en ce domaine est mise en cause et utilisée comme prétexte politique par Charles de Valois pour tenter de récupérer le fief royal.
Le nouveau sous-bailli Louis d'Avre est donc spécialement missionné et s'adjoint le concours de M. Justice de Mortagne d'autant plus impliqué qu'il se démène pour prouver l'innocence de la belle Mahaut de Vigonrin accusée d'empoisonnement, belle-fille de la baronne de Vigonrin et soeur de Marie de Salvin, sur laquelle il reporte le sentiment amoureux inspiré par cette dernière.
A l'instar des précédents opus, l'enquête se développe après une immersion didactique tant dans les institutions publiques de l'époque que dans la vie quotidienne avec les us et coutumes du Moyen-Age judicieusement amenés et le lecteur suit toujours avec passion les pérégrinations policières et romanesques de l'empathique - et séduisant - "bourreau".
