Comédie dramatique de Stefano Massini, mise en scène de Arnaud Meunier, avec Anne Alvaro, Régis Royer et Régis Huby.

En 2006 la journaliste russe Anna Politkovskaïa est assassinée. Une journaliste assassinée, rien qu'un fait divers ordinaire en Russie où les journalistes tombent comme des mouches sous les coups d'un mystérieux serial-killer victime d'une haine monomaniaque à l'encontre d'une catégorie socio-professionnelle.

Mais Anna Politkovskaïa n'est pas une journaliste tout à fait ordinaire : grand reporter pour le journal indépendant d'opposition Novaïa Gazeta, elle a été classée dans la catégorie des "ennemis de l'Etat non rééducables" pour la recension, dans ses articles consacrés à l'insurrection tchétchène, de faits révélant des violations des droits de l'Homme constatés lors de ses reportages sur le terrain et des mensonges officiels du gouvernement russe.

Et Anna Politkovskaïa n'était pas une femme tout à fait ordinaire : ni idéaliste illuminée ni activiste radicale, c'est en connaissance de cause qu'elle publie ses articles qui répondent à une haute conception de son métier - être un observateur et un témoin et jamais un juge - dont la vocation première consiste en la diffusion d'une information objective basée sur la réalité factuelle.

A partir d'une compilation de notes, d'interviews et correspondances, le dramaturge italien Stefano Massini a élaboré un memorandum théâtral pour convoquer sa mémoire et "entretenir le feu du combat vivant" qu'elle a incarné.

Ne ressortissant pas à l'hagiographie, "Femme non-rééducable" brasse des thématiques essentielles tenant aux libertés publiques, des droits de l'Homme à la liberté d'expression, du terrorisme, qu'il soit organisé ou d'Etat, et au rôle de la presse, ce quatrième pouvoir qui a d'autant plus de plomb dans l'aile que l'outil de propagande et de manipulation qu'est l'information n'est plus l'apanage des seuls pouvoirs totalitaires.

La partition est dispensée dans une "boîte à paroles, à musique et à images" au terme d'une sobre scénographie conçue par Nicolas Marie, un plateau noir avec au sol une une grande plaque de verre brisé, symbole de la dévastation des lieux et des âmes, et lumières crépusculaires, dans laquelle intervient un trio.

En effet, Arnaud Meunier a pris le parti de faire incarner le récit par deux comédiens et un musicien. Destinée à "soutenir la mise en abîme" et délivrée par le violoniste Régis Ruby installé en fond de scène sur un tapis déroulant, la musique, omniprésente et souvent parasitante, loin de n'être qu'intermède, est quasi-permanente, se superposant aux voix allant qu'à affecter leur audibilité.

Cela étant, Arnaud Meunier dirige avec une grande rigueur, entre incarnation et distanciation, deux comédiens qui portent la voix de la journaliste face à ses interlocuteurs masculins que sont les différents protagonistes du conflit armé.

Régis Royer est parfait et Anne Alvaro apporte la dimension tragique qui sous-tend l'humanité et le destin de cette belle figure de femme.