Loulou de la Falaise est décédée en 2011. Malgré ce nom "romanesque", il y a lieu de préciser qu'il ne s'agit pas d'une des dernières courtisanes de la Belle Epoque, ce que n'ignorent pas ceux qui, ayant érigé le Who's Who en livre de chevet, sont familiers du Gotha et des magazines people.
Car Loulou de la Falaise, dame de la Haute au pedigree long comme un jour sans pain mais avec caviar, née Louise Le Bailly de La Falaise, était la fille du comte Alain Le Bailly de la Falaise et de Maxime Birley, mannequin favori d'Elsa Schiaparelli et fille de Sir Oswald Birley peintre favori de la reine Mary d'Angleterre.
A titre personnel, elle fut une des égéries du couturier Yves Saint-Laurent, qui en fit sa créatrice de bijoux et accessoires, et épousa en 1977 Thadée Klossowski de Rola, fils d'une noble lignée d'ascendance polonaise, Balthasar Kłossowski de Rola, plus connu sous son nom de peintre Balthus, et d'Antoinette de Watteville, descendante d'une vieille famille de la noblesse bernoise, avec qui elle devait former selon des témoins avisés "le couple le plus chic de Paris".
En hommage à cet amour, Thadée Klossowski de Rola, veuf inconsolé, publie sous le titre "Vie rêvée" les pages de son journal relatives aux années 1965-1977, qu'il dédie à sa femme et à leur fille Anna, qui retrace sa vie de jeune homme dilettante amoureux d'une charismatique hippie qui joue à l'enfant terrible jusqu'au jour de leur mariage qui a constitué un célèbre épisode mondain.
En 1965, alors âgé de 21 ans, Thadée Klossowski de Rola, qui n'a d'autre titre que celui d'être le fils de son père, fait néanmoins partie d'une caste très enviée, celle de la jeunesse dorée, et du microcosme des "happy few" du Paris mondain de l'époque pour qui la vie n'est qu'une fête permanente.
Il nourrit une ambition littéraire mais n'en a ni talent ni même la velléité tant il est englué dans une indécision chronique et, surtout, une "paresse" qu'il présente, pour s'absoudre, comme un héritage paternel et cultive par une oisiveté soigneusement entretenue ancrée dans la vacuité existentielle.
Certes, hébergé gracieusement par une amie de sa mère, Diane Kotchoubey de Beauharnais, la veuve de Georges Bataille en contrepartie d'un travail de compilation de l'oeuvre de ce dernier, pour lequel il manque de motivation, et vivant des subsides paternels, il ne dispose pas d'une aisance financière suffisante pour figurer en tête de proue des acteurs du Paris branché. Mais nombre de ceux-ci figurent sur son carnet d'adresses et il caracole dans leur sillage.
Alors quand il n'est pas en villégiature, invité tous frais payés, en Suisse chez maman descendante d'une vieille famille bernoise, à Rome où il vit aux frais de la république chez papa directeur de la villa Médicis ou à Marrakech "chez Yves" où il a table ouverte, il hante les hauts lieux de la vie parisienne pour tuer le temps, et cela demande beaucoup d'énergie car les journées durent 24 heures pour tout le monde.
A ce titre, la lecture de son journal, qui se présente essentiellement comme un éphéméride commenté, nonobstant certains journaux people qui en loue l'écriture élégante et qualifient de "proustiennes" ses notes qui procèderaient à "la réinvention d'une mondanité", est édifiante.
La journée commence très tard, après grasse matinée et lecture au lit avant de vaquer à quelque occupation culturelle, exposition par ci, vernissage par là, puis une tea party à laquelle succède la tournée des bars chics avant le dîner comme invité - le plus dur étant de dîner seul d'un steak-purée, mais chez Lipp quand même - et se termine dans les boites de nuit et clubs pour tenir jusqu'à l'aube.
La vie n'est donc qu'une fête permanente. Mais point de poésie ni de bonheur dans cette fête placée sous posture transgressive qui révèle un mal de vivre absolu. Tout ce petit monde de noctambules s'agite et s'étourdit par mélancolie, désenchantement, désespoir et plus simplement par peur de la vie.
Sous les paillettes du luxe, les bulles de champagne, la drogue à gogo et le sexe "libéré", cette dolce vita à la française des années 70, même si elle n'est que survolée en l'espèce, a le goût délétère d'un enfer social.
Mais heureusement, le conte de fée peut néanmoins s'y épanouir puisque Thadée va épouser Loulou sa bien-aimée et enfin vivre d'amour... et d'eau fraîche ?