Pascal Quignard nous livre un nouveau chapitre de son Dernier royaume. Le septième volume de cette série ouverte par les Ombres errantes (qui valurent à leur auteur le prix Goncourt en 2002) reste, comme ses prédécesseurs, inclassable. Ni roman, ni véritablement essai, Quignard erre autour de cette figure du désarçonné.
De quoi s’agit-il ? D’interroger les occurrences littéraires du désarçonnement, les anecdotes historiques, de les mettre en vis-à-vis avec des épisodes autobiographiques… Aucune obsession de classement derrière cela cependant. De chapitres courts, a priori décousus émerge lentement la cohérence de l’ensemble. L’image de la chute de cheval laisse peu à peu la place à une forme plus universelle. En jeu alors, l’histoire de la domestication, condition du maintien de notre fragile équilibre au sein du monde. Nietzsche embrasse un cheval tombé à terre sous les coups de son maître, une larme coule sur ses joues, il "pleure la domestication" avant d’être lui-même désarçonné dans l’instant et de sombrer dans la folie.
Quignard interroge en même temps les supports de notre équilibre et l’anicroche qui nous fait choir. Le langage d’un côté, la pensée de l’autre : "[…] toute vraie pensée désarçonne le curieux habitant de l’âme, colonisé par la langue, submergé par le rêve, orienté par la fin, affolé par le désir". Tentative paradoxale de saper le langage par son propre effet, de nous faire sentir ce qu’il y a derrière lui de plus originaire qui ne se laisse mettre en mots. L’entreprise du "Dernier royaume" donne ses clefs de lecture à son terme presque atteint.