Comédie dramatique de Thomas Bernhard, mise en scène de Habib Naghmouchin, avec Geneviève Mnich, Cécile Lehn et Eric Prigent.
Il y a d'abord un lieu charmant, au fond d'une allée fleurie. Puis une salle étonnante "à l'avignonnaise", et un décor très réaliste.
Puis le texte de Thomas Bernhard et enfin les comédiens, là, tout près, incarnant : c'est leur art.
Deux soeurs, l'aînée et la plus cadette, préparent avec angoisse et fièvre le retour du frère, en permission de l'asile de fous proches. Le déjeuner a été préparé selon ses goûts. Les sujets irritants ont été énumérés, afin de les bien proscrire. Enfin, il est là, avec sa violence, sa morbidité, ses idées fixes, sa haine impuissante et vociférante.
Devant l'ordonnancement parfait, comment va réagir ce loup aux plaies ouvertes ?
"Déjeuner chez Wittgenstein", texte réaliste, sombre, riche, drôle, terrible sur la famille, les vies ratées, le poids des parents qui meurent toujours trop tard, et aussi, bien sûr, sur la folie, l'enfance prometteuse des fous, qui ne trouvent rien à leur hauteur et à leur écho, cette pièce bouleverse, remue, servie par un trio extraordinaire de qualité, de métier, de sensibilité.
Geneviève Mnich est l'aînée, petite femme proprette et méticuleuse, suintant des vertus encaustiques de la petite-bourgeoisie, insupportable de perfection et de maîtrise qui dissimulent mal le vide d'une vie manquée et dévouée à la famille créée par ses parents. C'est une comédienne puissante, effrayante dans le jeu de la normalité, remarquable.
La seconde, Cécile Lehn, plus joueuse, plus détachée, non moins malheureuse, aime autant le frère, sinon plus, laisse passer la vie, coquette, désespérée mais maquillée, et le jeu de cette comédienne rare révèle une grande subtilité.
Enfin, le frère tant attendu, Eric Prigent, inquiétant, attendu, incarne le maniaco-dépressif type, insatisfait, destructeur, ricaneur, enfoui dans son marais intime. On se penche sur cet homme comme devant un gouffre, quelle performance !
Admirablement mise en scène par Habib Naghmouchin, cette oeuvre de Bernhard rassemble tant de qualités, de force,qu'il faut se presser de la découvrir à la Boutonnière. C'est un spectacle indispensable et magistralement interprété.