Comédie dramatique d'après les chroniques de Clarice Lispector, mise en scène de Bruno Bayen, avec Emmanuelle Lafon et Vladimir Kudryavtsev.

Une femme, puis un homme, seuls sur un scène, seuls au monde. Elle, sophistiquée, belle, brisée par la laideur du monde, d'une élégance troublante, annonce son crime : elle a laissé mourir les poissons rouges dans le bocal. Horrible forfait.

Alors, elle s'explique : la naissance, les angoisses de la jeunesse, les amants, la nécessité mortelle et vitale des amants, l'abandon, indispensable et meurtrier, la cruauté de la condition féminine, inchangeable au fond, puisqu'il y a "oeuf et poule, poule à côté de l'oeuf".

Il faut... des faux-cils, du maquillage, du rouge à lèvres pour oublier, pour sublimer cette trivialité dont il importera même de jouir et d'être heureux. L'homme, quelque peu accessoirisé, la fera danser, la maquillera, la contredira avec passion.

Le texte de Clarice Lispector survit à la traduction, précurseur d'autres, mais cette femme est légère et drôle, jamais engluée dans quelque systématisme idéologique.

Cette épouse de diplomate écrit parfois comme une Duras, rit plus souvent, gémit même parfois avec des accents de Marceline Desbordes-Valmore. C'est une amante et une mère. Elle écrit la nuit et sur la nuit, jamais sur les écailles de son époque. Elle croit en Dieu comme les enfants.

Emmanuelle Lafon incarne cette femme d'élite avec une autorité, un charme, un métier, une fantaisie qui coupent le souple. Il y a de la Bette Davis, de l'Anouk Aimée, d'autres, mais elle est essentiellement, elle, et elle s'empare du texte pour être tour à tour, bouleversante, clownesque, sublime, tragique, pathétique, envoûtante. Vladimir Kudryavtsev est l'homme et il existe, avec ses mystères et sa tristesse d'homme.

Bruno Bayen, le metteur en scène, est aussi un écrivain, un dramaturge et il déploie tous ses savoirs pour façonner un spectacle rare. Il converse avec un autre écrivain, il ressuscite Clarice Lispector, il l'appelle depuis l'obscurité, avec une torche et quelques belles idées.

Spectacle qui aurait pu, sans délicatesse, chavirer dans une "branchouillerie" intellectuelle, "La femme qui tua les poissons" est un superbe moment de vérité, de nudité couverte, d'initiation, avec des images, des incrustations sensibles, qui marquent l'esprit.