La Halle Saint Pierre, dont la vocation est de promouvoir l’art brut et l’art singulier, consacre l'année 2012 à une exposition-rétrospective exceptionnelle de la création hors norme italienne.
Intitulée "Banditi dell'arte" par référence à un texte de Pier Paolo Pasolini évoquant ceux "qui ont vecu comme des assassins sous la terre, des bandits au fond de la mer, des fous au milieu du ciel" (dans "Ali aux yeux bleus"), elle invite le visiteur à découvrir, selon les termes du commissaire italien "la caravane bigarrée des nomades exilés".
Cette exposition étonnante, émouvante et riche en termes de réflexion sur l'essence de la notion d'art, le rapport entre l'art et la psychiatrie, avec la ténuité de la frontière entre la folie et le génie, et le sens et l'authenticité du geste artistique primordial, n'est bien évidemment pas réservée aux historiens d'art.
Elle s'adresse à tous, et plus encore au néophyte tant elle est chargée d'émotions, car chaque oeuvre révèle l'expression spontanée de personnes d'origine très modeste, frustres, parfois analphabètes, dont la personnalité est considérée comme déviante au regard d'une norme au demeurant évolutive.
Outre sa résonance avec de nombreux courants artistiques, elle permet également de mesurer l'évolution du regard sur "l'art des fous", considéré au début comme la preuve matérielle de leur dérèglement mental et/ou de leur comportement criminel, qui est désormais intégré dans l'histoire de l'art et a même accédé au très officiel marché de l'art.
Banditi dell'arte : la caravane bigarrée des nomades exilés*
Le pilote de cette caravane est Gustavo Giacosa, passionné d'art brut mais également danseur, comédien et compagnon de route théâtrale de Pipo Delbono, qui assure le commissariat de l'exposition avec Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint Pierre.
Une exposition sur deux niveaux comporte deux parties articulées autour de l'avènement de l'antipsychiatrie pour laquelle l'Italie figurait en tête de ligne.
Elle présente, d'une part, des oeuvres, dont celles de Giovanni Podesta et Carlo Zinelli qui jouissent d’une réputation internationale, appartenant aux collections historiques psychiatriques et carcérales d'institutions italiennes telles que le fameux Musée Lombroso de Turin.
D'autre part, elle réunit un florilège d'oeuvres réalisées notamment dans les ateliers de création et d’art-thérapie nés dans les années 60 ainsi que celles découvertes par Gustavo Giacosa au cours de ses prégrinations professionnelles.
Fous, aliénés, excentriques, maniaques obsessionnels, détenus pénitentiaires, rêveurs déconnectés de la réalité, ermites, isolés involontaires par le handicap, comme ce fut le cas des sourds-muets jusqu'au début du 20ème siècle, ou par un dérèglement traumatique, s'expriment et survivent par la création artistique sous toues ses formes du dessin à la sculpture, de la broderie à l'oeuvre totale.
Les oeuvres présentées sont spontanément subversives car elles n'obéissent à aucune règle, ne répondent à aucun des critères du geste artistique tel qu'il est officiellement théorisé, ne participent pas de la posture artistique et ne sont pas destinées à la marchandisation.
Pour ces oeuvres strictement personnelles et, pour la plupart, réalisées en milieu fermé, il est possible d'établir une typologie.
Deux tendances principales se dégagent : le primitivisme avec de nombreuses sculptures totémiques (avec entre autres Joseph (Giuseppe) Barbiero, Lui (Luigi) Buffo, et Nello (Stanislao) Ponzi) et la construction babélique.
De nombreuses photos permettent de prendre la mesure de ces dernières, oeuvres in situ à la manière du Palais Idéal du facteur Cheval ou la cathédrale de Jean Linard, parfois disparues, souvent associés au land art.
Elle sont toutes saisissante dont le Parc des bombosculptures de Angelo Stagnaro, le Jardin fantastique de Fiorenzo Pilia, la crèche géante de Mario Andreoli, la Mappemonde de la Paix de Orpheo Bartolucci, la Jérusalem syncrétique de Maurizio Becherini, la Vincent City de Vincent Maria Brunetti et le château enchanté de Filippo Bentivegna.
Au fil de l'exposition, le visiteur pourra découvrir des oeuvres enrésonance avec des courants artistiques "officiels".
Ainsi, et entre autres, les artistes obsessionnels de la représentations sérielle et de la collection avec Marco Raugei, les voitures de Fausto Badari, les galets de Luigi Lineri et les figures sexuelles féminines de Francesco Borrello et Giovanni Galli, les portes-installations de Francesco Nardi qui évoquent les les "Combines" de Robert Rauschenberg et la récupération-détournement-accumulation d'objets du Nouveau Réalisme avec Franco Bellucci et Antonio Dalla Valle.
Pour ceux qui n'ont ni matériel ni objets, tout jusqu'au moindre chiffon peut servir comme pour G.Versino, chargé du nettoyage, qui récupère les chiffons usés pour créer des vêtements tissés.
Ou Francesco Toris qui récupère les os à la cantine pour les sculpter et confectionner son fantastique "Nouveau Monde" d'une minutie époustouflante.
Plus démunis encore, d'autres comme Fernando Nannetti procèdent aux inscriptions et gravage directement sur les murs.
Compte tenu du nombre d'oeuvres exposées et de l'éventail stylistique proposée, le champ de découverte est aussi passionnant qu'infini.
Enfin, ne pas rater au premier niveau le superbe bestiaire fantastique en bois polychrome de Rosario Lattuca et les portraits expressionnistes de femmes de Pietro Ghizzardi.
Ses "Femmes portraits en noir" réalisées sur du carton de récupération avec des matières premières inattendues telles le charbon, le sang, la suie, comme la Séraphine de Senlis, sont sublimes.