Texte de Samuel Beckett mis en scène et interprété par Robert Wilson.

Le spectateur qui découvre sur scène "La dernière bande" de Samuel Beckett pour la première fois est souvent saisi d'une grande frustration. Il s'agit en effet d'une pièce pour un acteur et un magnétophone.

Dans ce texte, Krapp enregistre sur la bande du magnétophone un condensé de son ressenti de l'année écoulée. Puis il décide d'écouter une bande enregistrée trente ans auparavant. Le spectateur assiste alors aux réactions de cet homme solitaire et vieillissant devant sa voix sortie du passé.

On comprend que ce système ne puisse fonctionner que grâce à un acteur à la fois charismatique et subtil, Samuel Beckett l'avait d'ailleurs écrite en pensant au comédien irlandais Patrick Magee qui a à diverses occasions travaillé au cinéma avec Stanley Kubrick.

Or si Robert Wilson a l'âge de Krapp dans la pièce, ceci ne suffit pas à en faire un immense acteur. La dernière fois qu'on l'avait vu sur scène c'était pour "Hamlet, a monologue" à Bobigny il y a seize ans de cela.

Robert Wilson, metteur en scène, scénographe et concepteur de lumières, imagine donc un subterfuge pour pallier à son manque d'expérience comme acteur. Le noir et le blanc habillent la scène, tout y est ordonné, classé, millimétré. Krapp a le visage blanchi, des sourcils fins dessinés très haut sur le front. Seules ses chaussettes, sa bouche et ses yeux sont rouges.

Robert Wilson fait donc de Krapp un personnage qui se situe entre le cinéma expressionniste allemand et le clown blanc. Ceci lui permet d'accentuer les mimiques, de surjouer les réactions, de prendre des poses affectées, de tirer la pièce à la fois vers une interprétation burlesque à la manière d'un Buster Keaton mais aussi à lui donner une profondeur mystique

La force de Wilson est d'utiliser sa mise en scène, et surtout sa conception des lumières, pour donner sa version de Krapp.

D'abord, il étire le temps par une longue scène de pluie et de coups de tonnerre durant laquelle il apparaît comme un spectre. Ensuite, il appuie sur les ressorts comiques afin de transformer Krapp en un clown pathétique mais apaisé et doué d'ironie à l'approche de la fin plutôt qu'en un vieux bonhomme seul et amer.

Il convient de saluer le travail d'A. J. Weissbard aux lumières et de Peter Cerone au son qui insufflent à la pièce une ambiance lourde mais jamais mortifère.

"Krapp's last tape" de Beckett interprétée par Robert Wilson dans la version anglaise d'origine était annoncée comme un des événements théâtraux de cette fin d'année, elle ne déçoit pas. Cependant c'est bien par son art consommé de la mise en scène plus que par son jeu que Wilson séduit et hypnotise le public.