Comédie dramatique écrite par Normand Chaurette, mise en scène de Aude Ollier, avec Sophie Cartier Dodds, Soizic Fonjallaz, Eve Herszfed, Franka Hoareau, Aude Ollier et Caroline Valentin.

La jeune Compagnie Pourquoi Pas ?, qui a pour devise “Faîtes bien avec rien, Faîtes mieux avec peu”, réussit son coup d’essai avec son premier spectacle qui s’avère également être convaincant en ce qui concerne la première mise en scène de sa fondatrice Aude Ollier.

Inscrite au répertoire de la Comédie Française, "Les Reines", pièce de l’auteur dramatique et écrivain québécois Normand Chaurette, constitue une fiction historique de facture accomplie sur une thématique passionnante inspirée de l’Histoire du royaume d’Angleterre et de la tétralogie shakespearienne consacrée à la Guerre des Deux Roses, dont notamment "Richard III".

Prenant des libertés tant avec la première qu’avec la seconde, le dramaturge se penche sur le versant féminin de la monarchie médiévale anglaise au moment qui précède l’accession au trône du fameux Richard III pour une immersion dans un singulier gynécée, celui qui regroupe les filles des grandes familles régnantes conditionnées par leur naissance et leur éducation à n’exister que pour - et par - la fonction de reine qui constitue leur seule identité possible.

Sous-titrée "Dans l’anarchie des ombrages", la partition qui satisfait aux principe des trois unités se déroule le 20 janvier 1483, jour de tempête de neige qui engloutit Londres et jour de chaos à l’intérieur du Palais de Westminster qui voit simultanément le terme de la longue agonie du roi Edouard IV, la noyade opportune, dans un tonneau, de son successeur potentiel, son frère Georges, et l’élimination des rejetons de ce dernier, ce qui déroule le tapis rouge pour leur cadet Richard.

Dans les coulisses du pouvoir, les reines, spectatrices cantonnées au backstage, dont le quotidien, entre le parquet et l’entrepôt, la salle commune parquetée et le cellier, est rythmé par les contingences domestiques, tentent désespérément de donner un sens à leur vie.

Certaines, telles des chevaux de course, piaffent dans les starting-blocks en attendant le quart d’heure de gloire pour lesquelles elles sont prêtes à tout. Ainsi les sœurs Warwick, filles de Richard Neville le "faiseur de rois", avec Isabelle, épouse de Georges le muet, Soizic Fonjallaz convaincante, ambitieuse et exaltée qui trépigne déjà devant la récompense de son dévouement et Anne, la fragile et monstrueuse femme-enfant qui a séduit Richard à qui Aude Ollier prête efficacement tant un physique de jeune première qu'un jeu aussi sensible qu'acéré.

D’autres, déchues, la grandiose Marguerite de Valois épouse du feu roi Henri VI de Lancaster, détrôné par le mythique Richard cœur de lion de la maison d’York, qui rêve d’un impossible ailleurs, magistralement campée par Franka Hoareau, ou devenues inéligibles à la fonction, l’immolée Anne Dexter, la sœur des rois mutilée et condamnée comme son frère au mutisme imposé par leur mère qui a découvert leur amour incestueux, la seule encore animée du vrai souffle de la vie à qui Caroline Valentin donne une humanité aussi douloureuse que lumineuse, se morfondent en ressassant le passé.

Celle en titre, Sophie Cartier Dodds excellente en reine qui brûle ses dernières cartouches, affolée comme une poule décapitée qui use frénétiquement d’un pouvoir aussi bref - l’époque est à la valse des têtes et des couronnes - qu’illusoire qui, excepté les insignes convoités que constituent la couronne et la robe, se limite à avoir la main mise sur l’intendance.

Et, au sommet de cette pyramide des âges et des titres, la reine-mère, presque centenaire, terrifiante et impitoyable figure tutélaire qui tisse l’écheveau de l’avenir, celle qui se croit pour la matrice originelle, la féconde Gaia fondatrice de l‘humanité dans la mythologie grecque, annonciatrice visionnaire d’un nouveau monde qui verrait la disparition de l’Angleterre. Ce qui n’est pas totalement faux puisque le 16ème siècle verra la constitution du premier empire colonial anglais.

Eve Herszfeld, admirable, donne au personnage une dimension et une intensité époustouflante et effrayante et, constitue avec Caroline Valentin, dans la scène entre la mère omnipotente et la suppliante fille rejetée, niée, "non-née", un point d'orgue d'une cruauté bouleversante.

Aude Ollier a su réunir et diriger une distribution remarquable qui fonctionne avec une belle synergie tout en restituant la multiplicité des tonalités de la partition chorale de ces femmes cruelles parce que douloureuses et sublimes parce pathétiques qui se déchirent et s’entredéchirent dans l’attente d’un impossible bonheur et de l’accomplissement hypothétique d’un destin hors du commun.

La mise en scène, sur un plateau nu, est sobre, fluide et efficace et sa grande qualité réside non seulement dans la direction d'acteur mais également dans le choix d'écarter la violence expressionniste étale au profit d'une violence sourde et palpable, celle du temps et des personnages à la violence quasi atavique, qui explose en bouffées décompressives, talentueusement incarnés.