Réalisé par Pedro Almodovar. Espagne. Thriller. Durée : 1h57 (Sortie le 17 août 2011). Avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes, Jan Cornet, Roberto Álamo et Blanca Suárez.

Almodovar leur fait la peau !

Pedro Almodovar règle une fois de plus ses comptes avec la gent masculine mais sans sublimer le beau sexe comme dans ses trois plus flamboyants mélos ("Tout sur ma mère", "Parle avec elle", "Volver"). Cette fois-ci, il plante un poignard dans le cœur (et les "cojones" !) de ses héros mâles, tuant en même temps plus encore qu’autrefois la part de masculinité qui est en lui.

Avec son habituel sens du récit et du rythme filmique, le pape de la Movida surprend, déroute, menant son spectateur dans les sinueux méandres de sa folie narratrice. Ebouriffant !

Un éminent ponte de la chirurgie plastique se livre à une expérience de longue haleine sur une patiente, bafouant les règles de l’éthique encore en vigueur (mais pour combien de temps ?) en matière de manipulation génétique sur des organismes humains. Que cherche à faire cet énigmatique scientifique dont le rapport aux femmes s’avère aussi trouble que son passé ?

Le sujet pourrait renvoyer aux "Yeux sans visage" de Franju ou "Volte Face" de John Woo. Il flirte même allègrement avec l’univers de David Cronenberg, le spécialiste des tortures charnelles ("Crash", "Vidéodrome", "Faux semblants"). Almodovar sait mieux que quiconque se faire humble devant les prédécesseurs qu’il "cite" sans ambages pour mieux en alimenter son propre cinéma (devenu référence à son tour depuis longtemps) ainsi qu’il le fait de manière drôlissime ici en "convoquant" le temps d’une réplique Pénélope Cruz, une de ses comédiennes fétiches (qui déclina le rôle féminin principal pour des aventures de pirates en mer des Caraïbes)… Tout son art réside dans ce juste équilibre.

Un vrai tournant vers le thriller

Jusqu’à présent, cet équilibre (qui trouve son acmé dans "Tout sur ma mère" qui, du titre au générique de fin, n’était qu’hommage au cinéma, notamment de Mankiewicz) nourrissait des odes aux femmes comme peu de cinéastes ne l’avaient encore fait. C’est un tournant qu’aborde aujourd’hui l’auteur de "Volver", les femmes ne tenant plus vraiment le cœur d’une action, désormais plus musclée, même si le contrepoint narratif du propos vise à les encenser, mais en les vengeant plus qu’en montrant leur vulnérable beauté.

Et rien de tel pour cela que de faire morfler les mecs. Même si ce n’est pas la première fois que les héros almodovariens sont mis à mal (Bardem paralytique dans "En chair et en os", Banderas plus soumis que celle qu’il a ligotée "Attache-moi"), c’est une nouveauté de les voir aussi violemment laminés dans leur virilité.

Le décor est posé avec une froideur clinique. Puis progressivement la mise en scène vire au thriller le plus démoniaque, Almodovar menant son spectateur dans les méandres de son incandescente imagination narrative avec cette maestria confondante déjà vue si souvent, de "Talons aiguilles" à "Parle avec elle". Avec ce qu’il faut de réalisme permettant d’ancrer le propos dans une actualité chaude (la bioéthique), le cinéaste, en abordant le transgenre, transcende aussi d’autres genres cinématographiques.

S’éloignant du mélo flamboyant, il explore cette piste inattendue chez lui, à l’instar de Woody Allen dans "Le Rêve de Cassandre" et avec le même bonheur. Les flashbacks itératifs brouillent à l’envi les pistes de cette intrigue dont le dénouement détonnant justifie toute la complexité.

D’une beauté visuelle étourdissante, mené par des comédiens toujours parfaitement au diapason (quel bonheur de retrouver le ténébreux Antonio Banderas !) et doté d’une superbe musique du fidèle Alberto Iglesias (qui s’est surpassé sur cet opus-là), le cru 2011 du pape de la Movida ancre définitivement son auteur dans le panthéon des grands, des très grands metteurs en scène.