Les metteurs en scène en formation continue au Conservatoire Supérieur National d'Art Dramatique dans la classe de mise en scène de Pierre Debauche ont été invités à présenter, dans le cadre des représentations publiques de ses Journées de juin 2011, une proposition de spectacle.
Carte blanche donc sous réserve du format, une forme courte n'excédant pas 30 minutes. Au final, des propositions variées mais ne puisant ni dans le répertoire classique ni dans celui des auteurs vivants avec une nette prédilection pour le théâtre de la première moitié du 20ème siècle.
"Yvonne, princesse de Bourgogne" de Witold Gombrowicz, mise en scène de Johanny Bert, avec Benoit Di Marco, Bérangère Bonvoisin, Julien Buchy, Antoine Philippot, Nicolas Orlando et Géraldine Sazjman.
Johanny Bert, formé aux arts de la marionnette, ne pouvait pas ne pas en insérer au moins une dans son spectacle. Mais en l'occurrence, le systématisme se conjugue harmonieusement avec la nature du personnage réifié qui est celui de "Yvonne, princesse de Bourgogne", personnage-clé du conte loufoque de Witold Gombrowicz.Dans une famille royale, le prince frondeur prend pour une fiancée une jeune fille laide non seulement dépourvue de tout charme et affligée de travers et autres disgrâces envers laquelle il éprouve un sentiment d'attraction-répulsion. Par sa seule présence, celle-ci va réveiller les pires instincts humains et agir comme un catalyseur passif qui va déclencher la décomposition des êtres et l'anarchie et, comme l'indique l'auteur, transformer la cour en couveuse de monstres qui rêvent de l'assassiner.
Pour représenter Yvonne, Johanny Bert a choisi une poupée gonflable bas de gamme dotée d'une horrible bouche béante, manipulée à vue, dont l'apparence opère par sidération aussi bien du spectateur que du couple royal.
Au niveau de la mise en scène, il ne s'aligne pas sur la tendance générale qui est de verser dans le grotesque et la démesure mais propose une dramaturgie presque distanciée laissant aux comédiens le soin de composer la bouffonnerie attachée aux personnages gombrowicziens.
Aux côtés de Julien Buchy, le fils, et Antoine Philippot, le chambellan, habillés comme les agents de Matrix, Benoit Di Marco et Bérangère Bonvoisin, toux deux excellents, se taillent la part du lion dans le rôle du couple royal.
"Jouer avec le feu" d'après August Strindberg, mise en scène de Sarah Lasry, avec Géraldine Szajman, Nicolas Orlando, Julien Buchy et Marc-Henri Boisse.
Sarah Lasry a été bien inspirée de faire précéder de la locution prépositive "d'après" le nom de l'auteur de la pièce originale dont elle donne une version courte singulière et focalisée sur le rapport triangulaire du mari, de la femme et de l'ami.
En effet, si le théâtre de August Strindberg est généralement considéré comme le théâtre des forces obscures et "Jouer avec le feu" comme un drame ravageur, nonobstant la qualification par son auteur de comédie en un acte, entre chorégraphie à patinette et extrait de chansons de comédies musicales américaines, elle propose une comédie de moeurs "à la française" qui reste à la superficialité des choses et à la partie émergée des sentiments sans pouvoir restituer la profondeur de champs du tragique existentiel des personnages qui va au-delà du simple échec amoureux.
Et Géraldine Szajman, Nicolas Orlando et Julien Buchy s'acquittent honorablement de cette tâche.
"Mourir sur scène, Cabaret" autour des textes de Hanokh Levin, mise en scène de Léo Cohen-Paperman, Frédéric Jessua et Antoine Philippot.Il s'avère parfois indispensable de se référer à la note d'intention du metteur en scène pour tenter de comprendre son propos scénique. Dans la note d'intention de son "Mourir sur scène, Cabaret", Léo Cohen-Paperman indique avoir voulu présenter "une ode à la misère de l'acteur, à la misère de ses tentatives échouées, à la conscience de sa propre médiocrité" et notamment "jouer une genèse ratée, chanter Dalida et dire le caractère dérisoire du désir et de la représentation".
L'argument du ratage, sous-espèce du méta-théâtre, n'est pas nouveau même s'il semble devenir une thématique générationnelle de spectacle essentiellement potache placé sous le signe d'un humour, essentiellement décalé-trash, au second degré quasiment identitaire qui déclenchent l'hilarité des moins de trente ans. Tel est bien le cas en l'occurrence.
Antoine Philippot, robe à paillettes rouges, bas résille troués, talons éculés, perruque blonde et tous poils dehors, campe une pathétique Dalida et Frédéric Jessua tâte de la batterie tout en interprétant "le hot dog" extrait de la nouvelle "Le gigolo du Congo" de Hanokh Levin.
A propos de la genèse ratée, Léo Cohen-Paperman dénature le sens d'une micro-nouvelle de Hanokh Levin initulée "Genèse", variation métaphysique sur l'existence de Dieu, et les admirateurs de l'écrivain et dramaturge israélien auront sans doute le poil hérissé en l'entendant amputée de sa dernière, et essentielle, phrase.
"La vie de Galilée", ébauche d'après Bertold Brecht, mise en scène de Sonia Masson, avec Benoit Di Marco, Marc-Henri Boisse, Bérangère Bonvoisin, Nicolas Orlando, Laure-Lucile Simon, Frédéric Jessau, Thelma Di Marco et Aurélien Carbou.
Sonia Masson a choisi une pièce de Bertold Brecht rarement jouée, "La vie de Galilée" qui se présente comme une biographie théâtrale de l'astronome italien.
Par ses thématiques du combat de la science et du pouvoir, de la vérité contre l'obscurantisme qui peut conduire à la construction d'un ordre nouveau du monde, mais également du détournement politique de la connaissance, en l'occurrence dans une société régie par l'Eglise, pour ordonnancer et légitimer un ordre social et de la dérive des sciences sans éthique, elle conserve une vraie résonance contemporaine.
Dans son "ébauche", une ébauche en trois actes, la découverte - le déni officiel - le reniement personnel, bien structurés autour de l'ambiguïté du personnage brechtien entre fidélité et trahison, Sonia Masson montre ses dispositions pour la construction dramaturgique.
Le propos, qui ne cède pas à la mode de la contextualisation et ne se borne ni à l'illustration ni à l'anecdotique, est mis en scène de manière "classique" avec une maitrise et une direction d'acteur assurée qui n'est pas exempte de fraicheur.
Benoit Di Marco incarne un savant empathique, éloigné des images figées et austères passées à la postérité, animé d'une foi profonde et d'un pragmatisme avisé, qui préfère contourner qu'affronter un pouvoir totalitaire fort bien représenté par Marc-Henri Boisse, dont les forces sont révélatrices des faiblesses qui peuvent l'anéantir.
"L'amant de la morte" de Maurice Renard, mise en scène de Frédéric Jessua, avec Laure-Lucile Simon, Julien Buchy, Antoine Philippot, Géraldine Szajman, Nicolas Orlando et Frédéric Jessua.
Rien de surprenant à la proposition de Frédéric Jessua, comédien et metteur en scène déjà largement confirmé, qui met en scène "L'amant de la morte" de Maurice Renard. Et par ailleurs judicieuse puisqu'il s'agit d'un texte originellement de format court, ce qui évite tout boutiquage dramaturgique, et, de surcroît, d'une pièce du Grand Guignol, théâtre qu'il connaît bien.
En effet, depuis quelque temps déjà, il explore le répertoire de ce genre un peu oublié qui fit fureur au début du 20ème siècle et dont il a déjà monté un florilège en 2009 sous forme d'une revue théâtrale "à usage des grands" : "Ça bute à Montmartre" qui a été programmé au Ciné 13 Théâtre et "Ça a buté à Montmartre, et maintenant à Passy très chère !" au Théâtre du Ranelagh.
Dans ce registre comico-mélodramatique, précurseur du film d'épouvante, aux codes esthétiques forts qui, sous des titres étonnants qui excitaient l'imagination, déclinait tout autant les faits divers sanglants de l'époque dont se nourrissaient les feuilletons populaires que les phénomènes paranormaux et le merveilleux scientifique, il a choisi une pièce qui renouvelle, à la lumière de l'hypnotisme et de la revenance, le classique trio du vaudeville.
La mise en scène est efficace et Frédéric Jessua en restitue parfaitement les singularités, qui tiennent notamment à des codes de jeu appuyés et un savant dosage millimétré en douche écossaise de l'inquiétant et du comique, dans un spectacle jubilatoire qui n'est pas sans semer un certain trouble.
Robert, amoureux fou de la belle Simone, finit par le lui avouer au grand dam de celle-ci qui a contracté un heureux mariage. Toutefois, sous ses assauts, la belle semble hésiter et qu'il faudra attendre son retour de villégiature pour éventuellement concrétiser cette attirance. Pour s'en assurer, Robert met en pratique ses nouvelles connaissances en matière d'hypnotisme pour commander à la jeune femme de se donner à lui à son retour. Las, elle perd la vie dans un accident ferroviaire. Mais tout espoir n'est peut-être pas perdu...
Les comédiens jouent parfaitement le jeu : Antoine Philippot en mari élégant et parfait, Julien Buchy en amant fiévreux et Laure-Lucile Simon, dont le physique délicat de long lys au teint de lait correspond parfaitement aux canons de beauté de la femme des années 20, convaincante en délicieuse femme du monde qui peut dangereusement se métamorphoser.